Les Chroniques du Menteur
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La Saint-Marketin

lundi 8 février 1999, par Pierre Lazuly

L’amour s’apprête donc à faire rage, dimanche prochain, conformément au calendrier grégorien. Comme chaque année, à l’occasion de l’anniversaire de la décapitation de l’évêque Valentin (quoi de plus romantique en effet qu’un évêque décapité ?), amoureux et amoureuses s’offriront sans surprise les preuves d’amour rituelles. Les publicitaires le leur rappellent ; ils apportent les idées, et même des paquets tout faits.

« Fête de tous les amoureux, la Saint-Valentin est l’instant magique où l’on se doit de surprendre et de faire plaisir à l’élu(e) de son coeur. Fleurs, bijoux, champagne, CD et CD Rom, ainsi qu’une sélection d’idées cadeau La Redoute, vous attendent, à des prix raisonnables dans un cadre totalement sécurisé et fiable. Sautez sur l’opportunité d’un cadeau vraiment original, personnalisé... succès garanti ! ». Telles sont aujourd’hui les recettes de l’amour.

Je sais que vous rechignez à vous plier aux impératifs du calendrier marketing, mais cette fois il s’agit d’amour ! Qui parle de marketing ? Aussi point d’avarice : vos grands principes ne doivent pas vous dispenser de recourir aux fleuristes. (Préférez toutefois pour vos achats les véritables fleuristes aux désolantes boutiques en ligne constituées de fleurs en .GIF).

Dimanche, ce sera donc la « fête de tous les amoureux ». C’est du moins ce que les imbéciles racontent ; car c’est naturellement faux. La Saint-Valentin n’est que la fête des amoureux appariés, des couples officiels, des authentiques fiancés. Qui sont bien loin de constituer le quart du tiers de ce que notre planète peut compter d’amoureux. Ce serait faire fi de millions d’amoureux transis, de prétendants lyriques et timides, de soupirants malheureux, de tendres éconduits.

Ce serait oublier ceux qui attendent. Qui pensent avec Kierkegaard qu’« il n’est pas du tout difficile de séduire une jeune fille, mais d’en trouver une qui vaille la peine d’être séduite ». (Et que c’est précisément celle-là qui sera difficile à séduire).

Ceux qui se morfondent. Qui ressassent par exemple cette scène de Eustache : « Je t’attends depuis des mois, je suis prêt à t’attendre encore, le temps qu’il faudra. Mais toi, pendant ce temps, tu vis avec un autre type. Si tu étais seule, tu réfléchirais, on pourrait sortir ensemble de temps en temps, tu apprendrais de nouveau à me connaître, tu pourrais juger. Et le temps passant, tu saurais un jour si tu veux vivre avec moi ou avec un autre de tes amoureux ».

C’est à ces amoureux-là que nous nous intéresserons cette semaine. Aux oubliés de la fête, pour le seul motif qu’ils n’intéressent pas les fleuristes. À ces oubliés du marketing, qui le 14 février ne consommeront guère que leurs souvenirs inutiles.

PIERRE LAZULY
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