Les Chroniques du Menteur
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L’encre de sourire

samedi 15 novembre 2003, par Pierre Lazuly

Alors, aux aurores, il s’était levé, léger. Il avait doucement entrouvert le tiroir, pris dans sa main le porte-plume noir. Sans doute l’avait-il réveillé, arraché à l’un de ces rêves délicats que font les porte-plume, la nuit, quand on ne les regarde pas. Les histoires qu’on n’écrit pas.

Le porte-plume frémit un instant, heureux de recouvrer son sang : il avait senti son réservoir s’ouvrir, couler en lui la précieuse encre de sourire. Jamais il n’avait pu en percer le mystère, jamais il n’avait su d’où provenait le flacon. Mais dès la première goutte il avait reconnu sa note de tête intense, où se mêlaient désir et bergamote, l’effluve de tendresse vanillée, la fragrance si particulière des regrets.

C’était un parfum délicat, l’encre de sourire. Et les mots avaient exactement cette odeur-là. On est comme ça, nous autres. On ne peut écrire qu’à l’encre de sourire.

PIERRE LAZULY
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