Oh, bien sûr, on a pu en sourire, de ces petites bêtises, de cet HTML à l’eau de rose, de ce ridicule marketing. Mieux valait en sourire. Car le bilan de cette semaine est plutôt amer. Non que les nouvelles technologies ne vous permettent de trouver la femme de votre vie - après tout l’espoir est toujours permis -, mais parce qu’Internet se montre aujourd’hui sous son jour le plus désolant. Parce que la Saint-Valentin fait définitivement tomber le masque du nouveau média prometteur, interactif, innovateur.
Alors que Claude Allègre et ses amis infoniais se gargarisent sur les nouvelles technologies, glosent sur « l’innovation », c’est précisément une bêtise uniforme qui s’affiche sous nos yeux. Un manque d’originalité sidéral. Un gigantesque plagiat. Partout, de Voila à Multimania, de Wanadoo à Altavista, les mêmes coeurs apparaissent. Chacun vous propose le même « service » de cartes postales, la même possibilité d’« exprimer votre amour » sur leurs pages (pourquoi faire ?). Et, surtout, chacun y va de son petit lien vers son partenaire, qui un vendeur de fleurs, qui un vendeur de livres (j’ai trop respect pour les libraires pour honorer de ce titre les requins d’Alapage ou BOL), espérant prélever sa dîme sur vos « preuves d’amour ».
Si au moins les revenus du commerce électronique servait à récompenser des créateurs de contenus originaux ! Mais les seuls à en bénéficier réellement sont les propriétaires de portails, ces industriels du médiocre qui se contentent d’adapter à la va-vite les niaiseries d’outre Atlantique et de nous vendre comme « plus belles déclarations d’amour » des âneries du genre : « Il est plus difficile de bien faire l’amour que de bien faire la guerre », « Il faut aimer n’importe qui, n’importe comment, pourvu qu’on aime », ou encore « Faire l’amour avec toi... hummmmmmm ! Jamais je n’ai tant désiré une femme comme toi. Je suis malade de toi ! Ton amant ».
Mais naturellement, le Web n’est pas le seul terrain où se déchaîne la furie de la Saint-Marketin. La téléphonie mobile elle aussi s’excite. The Phone House me propose son « Offre Duo spéciale Saint-Valentin », avec « pour lui dire "Je t’aime", une heure offerte par mois jusqu’à l’an 2000 vers deux numéros de votre choix [pourquoi deux ? mystère...] ». Deux téléphones, sur la photo, enlacés dans un petit ruban rouge. Sur l’écran du premier, on peut lire « Je t’aime », sur l’écran de l’autre, on peut lire « Moi aussi ». J’en serais presque séduit. C’est du marketing gentil. Tout le monde n’a pas cet instinct du vulgaire qui fait la réputation de SFR.
Car cette fois encore, la marque de Cegetel nous a gâté. « Vive l’amour libre », proclame l’encart publicitaire SFR, agrémenté d’un petit Cupidon. Les champions du détournement du mot Liberté, ceux-là même qui détournaient il y a quelques mois des images de Woodstock pour nous refourguer l’objet le plus symptomatique de la consommation effrénée, inventent cette fois-ci « l’amour libre ». Entendez par là une formule « sans engagement », avec 30 minutes de consommation que l’on peut recharger à volonté. (Ce doit être une image).
La publicité pour le pack Complice SFR est d’ailleurs encore plus claire : « Vous êtes amoureux, prouvez-le ! ». On ne saurait être plus vulgaire.