Les histoires des grands
Pauvre petit photographe déambulant sous le crachin, tu n’as vraiment l’air de rien. Tu marchottes, tripotant ton Leica, respirant l’air marin. Perdu
sur la plage de Saint-Briac, à deux pas de la colonie que tu photographies,
la tête dans les nuages et les pieds dans la vase, tu songes à l’accompagnatrice, si jolie que tu voudrais bien qu’elle t’accompagne dans tes nuits. Elle s’appelle Eva, mais ça ne lui va pas. Tu l’appellerais « mon ange », ou quelque chose comme ça. Tu la tiendrais dans tes bras. Vous vous marieriez et auriez beaucoup d’enfants. Et cette fois, ça ne raterait pas.
Vos enfants seraient adorables, comme ce gamin plein de tâches de rousseur,
coiffé d’un bonnet Kickers, venu te soutirer une pellicule tout-à-l’heure. Les gosses, ils ne comprennent jamais rien aux histoires des grands. Ils
font rien qu’à dire la vérité tout le temps, ça devient vite embêtant. Vous
aviez marché toute la journée, évitant de trop vos regarder, mais la
marmaille observait, la marmaille devinait. Et, ça et là, on entendait
murmurer « hein c’est vrai qu’t’es amoureux d’Eva ? ». Tu ne répondais pas.
A présent, les minuscules sont rentrés au dortoir, et le petit
photographe déambule, l’air de rien. Eva déambule elle aussi sous le crachin. L’amour rend niais, et vous attendez bêtement sous la pluie le moment de vous croiser. C’est vrai qu’t’es amoureux d’Eva...
Et tu la croises, elle te croise, et vous vous dites n’importe quoi. Que vous aimez la pluie, ou n’importe quelle autre idiotie. « Autant passer la soirée ensemble, puisqu’on est là », risques-tu. « Je ne m’attendais pas à rencontrer des gens », répond-elle, émue. Et vos pas vous guident enfin vers la plage où les enfants savent bien que vous ne serez pas sages.
Le préservatif Jean-Paul II
Amour amour, le petit photographe t’a suivi. Il a pris le train puis le
ferry, et le voilà en Angleterre, en tendre tête-à-tête avec sa saisonnière. Il engloutit gaiement son gloubiboulga, et même sa gelée verte. Il l’entraîne dans un pub voisin, lui parle distraitement de son regard, en louchant sur son décolleté. Par pur intérêt artistique, bien sûr. Il pense à la distance focale, au grain du papier, à son grain de beauté, à son désir enflammé... Il termine sa Kilkenny.
Plus tard, elle le rejoint dans ce lit où déjà il s’impatiente. Elle
l’embrasse scolairement. Le petit photographe s’enhardit, il se fait plus précis. Mais son amour l’écarte, le repousse d’un « non non non, j’crois en Dieu » sans appel. Le petit photographe fait la grimace. Demain, peut-être. Il dort mal.
Le lendemain, son amour se fait plus tendre. Elle l’entoure de mille
attentions, il lui semble bien y voir un début de passion. Dans sa tête, des
neurones pleins d’espoir lui murmurent « cette fois c’est sûr, c’est pour ce soir ». Et le petit photographe, se glisse, plein d’appétit, dans un lit de promesses rempli.
« Le pape ne veut pas, chéri », explique la demoiselle au photographe aigri.
Le préservatif Jean-Paul II : pour tuer l’amour, il n’y a pas mieux.
Un amour de printemps
« Rennes est une bien jolie ville », songeait le photographe. Il aimait tant s’y promener, le Leica en bandouillière, lorsque revenait le temps des
jeunes filles en fleurs. Il était un peu le Doisneau des étudiantes
bretonnes, mais un peu seulement. Disons qu’il photographiait une étudiante
de temps en temps. Et que parfois, leurs relations allaient plus avant.
Mais parfois seulement.
Comme dans un film, elle cheminait en sens inverse. Elle, jeune philosophe
portant un violoncelle. Lui, jeune photographe portant son appareil. Nous
formerions un couple follement romanesque, pensait déjà l’apprenti
Doisneau. Elle lui sourit. Aussi convinrent-ils sans trop y croire qu’ils
s’étaient déjà vus quelque part, puis partirent en quête d’une terrasse
qui leur rafraîchirait le coeur et la mémoire. Comme dans un film, deux
demis, quelques sourires et c’est parti.
Amour amour, les chiens sont lâchés, et les voilà partis pour le Sablier.
Il y avait au programme, en ce soir de printemps, un chanteur fleur bleue, un peu naïf, un peu niais. C’était excellent pour ce qu’ils avaient.
Et le concert terminé, près du hangar à vélo, il lui dit « je sais pas comment te dire au revoir ». C’était sa phrase habituelle. Elle lui expliqua en clignant des yeux deux fois. Il l’embrassa. Et ils s’en allèrent vers le terrain voisin, un terrain de rugby dont les côtés - il l’avait déjà remarqué - formaient un plan incliné d’environ 30 degrés. Ce qui, pour de jeunes romantiques, était un lit parfait.