J’en suis resté sur le derrière. On interrogeait Jean Glavany sur France Inter. C’était dans le journal de 18h, jeudi dernier, mais j’ai réussi à l’enregistrer et le retranscrire un peu plus tard dans la soirée. Devant la multiplication des scandales mettant en cause des farines animales, on demandait au ministre s’il n’était pas grand temps d’interdire complètement leur utilisation. Voici sa réponse. Et que je sois transformé en député RPR si j’en ai changé un seul mot : « Si on ne consomme plus les farines animales dans les élevages, qu’est-ce qu’on fera de ces sous-produits animaux, les carcasses, les graisses, les peaux, les chairs, qui sont à la porte des abattoirs ? On les incinèrera. Ça coûtera de l’argent, ça polluera, et il faut mesurer toutes ces conséquences ». C’est pourquoi il est préférable de les donner à manger aux poules et aux poissons. C’est le bon sens même : ça ne coûte rien (au contraire !) et ça ne pollue pas.
Sauf bien sûr les poules et les poissons. Eux, ça les pollue drôlement. Mais tant que ça n’empêche pas de les vendre, le ministre de l’Agriculture est content. Les vaches (surtout les britanniques) deviennent hystériques ; les poulets belges (mais seulement les belges) digèrent mal les mélanges d’abats de boeuf et d’huile mécanique. Les oeufs deviennent suspects ; les omelettes prennent même une jolie teinte irisée. Demain, on apprendra que les lapins espagnols (mais seulement les espagnols) digèrent mal la carcasse de vache au caoutchouc. Il faudra en inventer de nouveaux, plus performants. Des lapins transgéniques, qui adoreront le caoutchouc.
Qu’importe, le consommateur doit rester confiant. « Il ne faut pas céder à la psychose, car ce sont des secteurs entiers de notre économie qui sont en jeu », expliquait quelques jours auparavant le même Jean Glavany. Ce qui résume assez bien la chose. Les empoisonnements d’aujourd’hui sont les emplois de demain. (On dirait du Madelin).
Mais Jean Glavany, décidément très en forme, continuait toujours son monologue sur France Inter : « Deuxièmement, si on ne donne plus ça à manger aux élevages, qu’est-ce qu’ils vont manger à la place ? Des protéines américaines dont les pluparts (sic) sont des organismes génétiquement modifiés. C’est pas si simple à décider ».
Et moi qui m’imaginais qu’en Europe, on savait encore cultiver ! Que l’on pouvait, si on en avait la volonté, nourrir les élevages avec nos propres fourrages. Il paraît qu’à une époque pas si lointaine, on le faisait. De bonnes vieilles protéines, génétiquement intactes. Il paraît même qu’à l’époque, on prétendait que le lapin était herbivore, que les poissons ne mangeaient pas dans la nature des résidus de cochon. Depuis, la science a évidemment prouvé le contraire. Anéanti ces préjugés. Le saumon d’élevage (ce qui relève déjà du pléonasme), est gavé d’antibiotiques. On implante, pour le moment à titre expérimental, des gènes antigel pour faire vivre (et donc pêcher) certains poissons en dehors de leurs eaux habituelles. Tant qu’à produire des poissons transgéniques, autant leur donner à bouffer nos vieilles piles électriques. Broyées avec du boeuf et des antibiotiques.
En attendant, dans le flot des dépêches "Société", c’est un véritable festival. Chaque pays y va de sa mesurette, de sa mise sous séquestre de quelques tonnes de produits belges. La Commission européenne se fâche contre la France et les Pays-Bas, « prévenus dès début mai de la contamination des farines animales par la dioxine cancérigène », et qui ne l’ont pas prévenue. Et la Belgique s’enfonce dans une belle crise politico-économique. Pauvre Belgique ! Et pour ne rien arranger, « la Flandre est la région du monde la plus polluée par les émissions de gaz ammoniac à cause de la concentration des exploitations agricoles et des élevages », selon une enquête de l’Institut flamand de recherche technologique qui tombe à pic.
J’ajoute, pour être tout-à-fait complet, que les autorités américaines ont décidé jeudi de bloquer temporairement les entrées de viandes de poulet et de porc en provenance de l’Union européenne. On n’est jamais trop prudent. Pendant ce temps, Washington et Ottawa réclament toujours 253 millions de dollars de sanctions contre l’Union européenne qui persiste toujours dans son refus de lever un embargo de plus de dix ans sur leur viande de boeufs élevés aux hormones. Les Européens, eux, n’ont manifestement pas le droit d’être prudents.