« Il faut promouvoir des formes nouvelles d’organisation du travail librement négociées », déclarait hier Jacques Chirac au cours d’une conférence de presse. Tout est dans le « librement négocié ».
Car toute la perversité du discours néo-libéral, c’est ce détournement systématique de la sémantique. Nul doute que ce « librement négocié », sublime trouvaille d’énarque, mérite sa place au Panthéon des expressions mensongères, non loin du superbe « au cas par cas », désormais employée par les ministres pour déléguer toute décision à la bureaucratie anonyme. On régularise les sans-papiers « au cas par cas » (qui, par une étrange loi statistique produit toujours, mois par mois, une parfaite répartition 50/50), on donne l’aumône d’Etat aux pauvres (pardon : aux citoyens au bord de l’exclusion) par un examen « au cas par cas ». C’est merveilleux. L’expression « au cas par cas » a cette belle connotation d’un gentil fonctionnaire qui vous écoute, comprend vos problèmes, et vous aide. Ce qui est le cas dans le milieu associatif, du travail d’assistance sociale. Mais beaucoup plus rarement dans une préfecture, où votre sort est suspendu à des circulaires non-dites (notamment celle du 50-50) et à la bonne ou mauvaise volonté du fonctionnaire. Rien n’est plus inégalitaire qu’un examen « au cas par cas ».
Le « librement négocié » est également une fort belle trouvaille. La représentation mentale associée, naturellement, est celle du sympathique chef d’entreprise définissant avec son collaborateur l’organisation de son travail, sur des bases saines de confiance réciproque, fondées sur les valeurs de l’entreprise. Ce qui, il est vrai, peut effectivement s’appliquer pour certaines catégories de collaborateurs « de grande valeur », mais qui, dans le cas de l’emploi d’une « main d’oeuvre faiblement qualifiée », pour reprendre l’euphémisme présidentiel, prend une toute autre signification : accepter les conditions librement négociées entre le patron et lui-même, ou laisser cette chance au suivant. On ne répètera jamais assez que deux tiers des emplois créés en 1997 sont des emplois précaires (CDD et intérim). Ce qui, on le sait, assure une position confortable pour négocier librement avec son patron.
Et c’est ainsi que se fera le grand miracle libéral.