« Sous la pression de sa majorité, le gouvernement reporte la réforme qui visait à alléger fortement la fiscalité sur les stock-options », pouvait-on lire dans Le Monde samedi dernier. « Espérons qu’elle sera définitivement enterrée », concluais-je alors, un peu hâtivement, dans un post-scriptum à la chronique qui lui était consacrée.
C’était compter sans la ténacité de Bercy. Dominique Strauss-Kahn ne s’avoue pas vaincu. (Moi non plus). Il a plus d’un tour dans sa besace : puisque les stock-options font grincer les dents des chroniqueurs en herbe et de la gauche plurielle, il suffit de les rebaptiser « bons de croissance », ni vu ni connu : ces imbéciles de gauche n’y verront que du feu. Il n’y aura donc pas, comme on l’avait redouté, une réduction (pardon : un « assouplissement ») de la fiscalité des stocks-options, mais simplement une décision concertée au sujet des « bons de croissance », « sur la base » de ce qui était inscrit dans le projet de loi Allègre sur l’innovation et la recherche.
La nuance est d’importance. Alors que les stock-options souffrent d’une image ternie, les « bons de croissance » peuvent, selon Bercy, « stabiliser les fonds propres des entreprises », « fidéliser les salariés » et rendre les sociétés « moins vulnérables aux OPA ». Pas moins. C’est le grand avantage de créer un nouveau vocable : on peut en profiter pour le parer de mille et une vertus.
Après tout, lorsque les privatisations ont été remplacées par les « ouvertures de capital », les médias se sont rapidement prêtés au jeu. L’ancien vocable est progressivement tombé en désuétude ; les socialistes ne peuvent donc plus être accusés de privatiser. Désormais, ils ouvrent le capital. C’est tellement plus beau.
Et c’est bien là tout le prestige du galimatias. Comme l’écrivait le regretté Alexandre Vialatte, « nous vivons une époque où l’on se figure qu’on pense dès qu’on emploie un mot nouveau. On ne sait pas le tiers du quart des mots de la langue française et on va en chercher dans des modes prétentieuses qui savent très bien à quoi elles visent en essayant de flatter bassement la clientèle par un jargon de prestige. Tout cela ne serait que ridicule si le prestige du galimatias ne contaminait la pensée. Et alors là, ça devient dangereux. Parler faux, parler mou, parler vague, parler bête, parler obscur, amène, oblige à penser faux, à penser mou, vague, bête, obscur. Met en circulation les idées les plus sottes, les goûts les plus artificiels. Les sentiments s’ensuivent, les moeurs, bref, toute la civilisation ».
Heureusement, il est des ministères plus responsables. Le ministère de l’Agriculture, par exemple, qui a la gentillesse de m’informer que deux autres cas d’encéphalopathie spongiforme bovine - ou maladie de la vache folle - ont été signalés cette semaine, en Vendée et dans l’Orne. C’était ma rubrique : « exigez le label Viande française ».
J’ajouterai pour être tout-à-fait complet qu’un garçonnet de six ans a été retrouvé sur une autoroute allemande, circulant en pleine nuit dans une voiture à pédales. Il était parti « chercher des étoiles ». Le petit prince est revenu sans ses étoiles mais en parfaite santé, accompagné des policiers qui s’apprêtaient à le verbaliser pour défaut d’éclairage. À l’étage, papa et maman dormaient tranquillement.