Ainsi donc, Ernest-Antoine Seillière souhaite instituer des « emplois-client », dont le salaire serait régi par les seules « lois du marché ». Grand seigneur, EAS laisse le soin à l’Etat de financer s’il le souhaite la différence entre le SMIC et le salaire consenti par l’entreprise. Tel est le « projet espoir » du baron Seillière.
Ce doit être mon côté archaïque, mais le salaire régi par les « lois du marché », ça m’a fait bondir. Par l’un de ces détournements de langage dont les libéraux sont coutumiers, il devient dans la bouche de Jean-Marc Sylvestre : « le salaire que peuvent payer les entreprises ». Entendez par là : le salaire maximum que l’entreprise peut - sans nuire à son activité - verser à ses « collaborateurs ».
Mais le salaire régi par les « lois du marché », c’est cette bonne vieille loi de l’offre et de la demande. Elle est déjà en vigueur pour les cadres - voir par exemple l’envolée des salaires des informaticiens -, il ne restait plus qu’à l’appliquer au bas salaires, encore protégés par une législation contraignante (et « archaïque », bien sûr). A la différence près que, alors que le marché du travail déplore une pénurie d’informaticiens, le vivier de chômeurs laisse envisager sereinement, en cas de dérèglementation, une baisse sensible des rémunérations pour les emplois peu qualifiés. Tel est l’« espoir » du baron. Ca vit de peu de chose, finalement, un baron.
Je pensais à Jean-Marc Sylvestre, ce matin, en mangeant mon fromage blanc à la vanille. Lui aussi, il devra s’adapter. Maintenant que le MATIF a fui vers Francfort, la Bourse de Paris va devoir créer une nouvelle valeur. Selon mes informations, elle devrait s’appeler « la VISS » (pour Valeur Instantanée du Salarié de Seillière). L’expression « serrer la VISS » est d’ailleurs déjà passée dans le langage courant.
On peut déjà imaginer la chronique de l’abbé Sylvestre : « malgré une belle progression de la valeur informaticienne (+6,4% pour les ingénieurs, +3,7% pour les techniciens), due essentiellement à une rumeur d’achats massifs d’informaticiens par Cap Gemini, le VISS termine en net repli, avec toujours les plus fortes baisses chez les salariés archaïques. Les musiciens terminent à -5%, les romanciers non mazarinés à -7%, alors que les titres de philosophie et de sociologie s’échangent à moins de 3 francs. Plutôt acheter Eurotunnel ! (rires). A noter la bonne tenue des hôtesses de caisse en dessous des 13 francs de l’heure, grâce à l’arrivée sur le marché des fonctionnaires privatisés, bien sûr, mais aussi grâce aux stages d’exclusion recommandés par la Commission Européenne afin de sensibiliser les salariés aux risques encourus par les grévistes. En somme, rien que des bonnes nouvelles, Patricia. A demain, 7h25, toujours sur Bouygues Inter. »
Comme le soulignait Olivier Cyran, célèbre trotskyste anglais : « il n’y a jamais eu aussi peu de grèves en France depuis de 50 ans. Pas besoin de supprimer le droit de grève, la trouille du chômage fait ça tout seul ».
Et c’est ainsi que se fera le grand miracle libéral.