Les Chroniques du Menteur
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Fin de parcours possible

mardi 18 août 1998, par Pierre Lazuly

J’arrive à présent à un moment clé de ma carrière : celui où l’on se sent investi d’une mission quasi divine, où l’on commence à croire vraiment aux valeurs pourtant ridicules de son entreprise. C’est alors que naît le vrai cadre, indéniablement supérieur : celui qui se découvre une âme de Directeur.

J’ai ressenti ce frisson récemment, en feuilletant les offres d’emploi dans un grand quotidien. Une filiale complètement inconnue (mais néanmoins leader dans un domaine porteur) recherchait son « Directeur de la Satisfaction Totale du Client ». Avec des majuscules partout. Sur une carte de visite, c’est très impressionnant. Le client se sent important. Il est content.

Il ne vous reste plus qu’à organiser une petite enquête annuelle auprès de vos clients pour déterminer lequel de vos employés leur a donné la plus entière satisfaction. Le vainqueur du concours, le plus hypocrite de vos salariés, est alors envoyé avec les honneurs et sa dulcinée passer une journée à Eurodisney.

C’est exactement ce que je veux faire quand je serai grand : « Directeur de la Satisfaction Totale du Client et Grand Exterminateur de Son Mécontentement ». En attendant, j’écris des chroniques pour satisfaire des même-pas-clients. C’est un excellent entraînement.

D’autant que la concurrence s’annonce rude. Les supermarchés sont plein de chroniqueurs. J’en ai déjà vu deux, tout-à-l’heure, qui farfouillaient dans les étalages à la recherche des promotions les plus niaises et des slogans les plus abscons. Ils avaient un air très professionnel : déguisés en Men In Black, le premier dictant ses plus belles trouvailles au second qui les notait sur un PC portable.

J’aurais bien aimé sympathiser, mais ils n’avaient vraiment pas l’air marrant. Ils ne ricanaient pas devant les prix malins et les offres privilège, ils se contentaient juste de recopier les prix. Ce devait être des débutants. L’espace d’un instant, j’ai même pensé qu’ils pouvaient être des espions, de faux chroniqueurs à la solde d’un supermarché concurrent, mais j’ai du mal à y croire. Ce serait tellement ridicule.

J’en terminerai par cette citation d’un finistérien énervé par un parisien en Porsche : « ça sert à rien d’avoir 200 chevaux sous le capot si c’est un âne qu’est au volant ».

PIERRE LAZULY
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