Enfin remis la main sur l’interview donnée par Boris Vian à Radio-Lausanne, le 5 mars 1955. La fameuse interview au cours de laquelle il expliquait comment on pouvait concilier dans la même journée de multiples activités à temps complet. « Sa paresse le rendait très rapide à finir ses devoirs », écrivait-il déjà dans un poème intitulé « Le lycée ». C’est cette paresse-là, cette rapidité acquise dans les premières années, qui peut donner naissance à ces « vies parallèles ». Qui les rend nécessaires, en fait.
« Comment se fait-il qu’étant ingénieur il ne soit pas resté dans les machines-outils ? Comment se fait-il qu’il soit passé au roman littéraire et du roman littéraire au roman noir ? Comment se fait-il qu’il en soit aujourd’hui à la chanson ? Eh bien, ça s’est fait tout naturellement parce que je travaille vite, mais que ça me fatigue autant que les autres. Je ne vois pas le rapport. Admettez qu’en deux heures je fasse le travail qu’on me donne à faire en huit heures ; je le fais en deux heures, mais au bout des deux heures je suis aussi fatigué que d’autres qui auraient mis huit heures à le faire ; alors je suis obligé de changer de travail ; par conséquence je suis obligé pour occuper huit heures par jour de faire quatre métiers. C’est vraiment compliqué. Ainsi vous êtes ingénieur deux heures, puis romancier deux heures, puis journaliste deux heures, et les deux dernières heures, au lieu de vous promener, vous faites des chansons. »
Curieusement, la méthode ne marche que par périodes. Il y a les traversées du désert, où huit heures sont nécessaires à votre travail alimentaire. Et il y a les périodes où, ravigoté, vous menez une existence passionnée. Où les activités s’enchaînent sans discontinuer, alors que les nuits ne servent même plus à se reposer.