J’étais alors tout môme et je passais le plus clair de mon temps à arpenter pieds nus la cale de Chausey. J’y rencontrais parfois des gens célèbres, même si souvent ce n’était que Pierre Bachelet. Un jour, j’avais pourtant vu l’inimitable Jean-Claude Bourret ramant en caleçon dans une petite annexe rouge. La Cinquième n’était alors pas née.
Mais il avait aussi, parfois, un vieux côtre noir qui venait mouiller là et que chacun semblait connaître tant il était familier de l’archipel. Ma première vision d’Eric Tabarly fut alors celle d’un homme taciturne entouré de rudes gaillards. « Et son bateau, c’est le Pen-Duick », m’avait alors expliqué mon papa.
Ma dernière vision de Tabarly fut toutefois moins belle. C’était sur France 3, l’année dernière, peu avant les Chiffres et les Lettres. Il vantait les mérites d’une assurance auto dans un infomercial plutôt raté. Ca m’avait attristé. Presque autant que lorsque j’avais vu Lucien Jeunesse chanter les vertus de Norwich Union en nous faisant gagner 100.000 francs. Pour Tabarly, c’était un peu différent. C’était, me disait-on, la seule façon pour lui de financer sa passion et de repartir en mer avec ses compagnons. J’en avais nourri un mépris profond, non pour Tabarly mais pour cette société imbécile où seules sont reconnues les pitreries mercantiles.
Eric Tabarly nous quitte, et Jean-Claude Bourret ronfle en paix. Décidément la vie est mal faite, elle n’aime que la médiocrité.