Nous étions une petite dizaine de cadres, réunis de bon matin dans une salle surchauffée d’un immeuble de la Défense. Conviés à une « réunion de créativité », dernière élucubration des énergumènes des Ressources Humaines. Un « animateur de créativité » avait même été convié pour stimuler nos interactions selon une méthode astucieusement nommée CQFD. Elle découle de la « théorie de la créativité », nous apprend l’animateur. Je le soupçonne de l’avoir inventée. Tels sont en effet aujourd’hui les clés de la réussite sociale : traduire à la va-vite une théorie anglo-saxonne sur, par exemple, « la créativité multimédia des cadres flexibles sur Internet », monter un cabinet de consultants - forcément leader dans ce domaine - et vendre le concept aux ânes des directions générales.
La séance commence par un portrait chinois : « Et si vous étiez un arbre ? », demande l’animateur. Puis il entame un long tour de table. « Je suis un pin parasol », dis-je, sans trop savoir pourquoi. Un autre répond : « Un chêne, parce que c’est beau, c’est éternel, et ça ne sert à rien ». C’est mon chef. « Et si vous étiez un plat cuisiné ? », continue l’animateur. Je serais une tartiflette. « Et si vous êtiez un véhicule ? ». Je t’écraserais, imbécile.
Mais c’est déjà l’heure du « polichinelle ». Nous nous levons. Il nous faut, dit l’animateur, « nous secouer pour faire tomber tout ce qui s’est accroché à nous ce matin ». C’est un processus mental qui doit nous permettre d’effacer nos préjugés, explique-t-il encore.
C’est ainsi que le laveur de vitres eut la surprise de voir une dizaine de pingouins sautillant sur place, agitant les épaules dans de petits gestes convulsifs, comme une armée de paralytiques s’essayant à la Macarena. Et bien évidemment, à la fin de la journée, nous n’avions toujours rien créé.