Les Chroniques du Menteur
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Triste sort de Jean Lefebvre

mercredi 29 avril 1998, par Pierre Lazuly

Personne ne saurait, en ce printemps médiatique, être aussi absent que Jean Lefebvre. Victime, comme tant d’autres, de la baisse du niveau culturel, Jean Lefebvre ne séduit plus guère le téléspectateur. Le public de Lagaf’ le taxe d’intellectualisme, Bernard Pivot regrette son élitisme. Arte hésite même à le recevoir dans ses programmes nocturnes. Jean Lefebvre, c’est triste à dire, ne fait plus recette à l’audimètre, et bientôt, tel un Titanic à bérêt, il va sombrer dans l’oubli.

Bien qu’à l’écart de la scène médiatique, il n’en est pas pour autant complètement absent. Il illumine encore de sa gracieuse présence quelques festivals, hélas trop peu connus, et notamment dans le bocage normand. Pas plus tard que samedi dernier, alors que je traversais la sympathique bourgade de Saint-Hilaire-du-Harcouët, une affiche porta à ma connaissance sa présence exceptionnelle, à l’occasion du vingtième anniversaire des Meubles Quatre-Moulins. J’en fus fortement attristé.

Certes, Jack Lang ne manquerait sans doute pas d’honorer de sa présence un tel évènement culturel - le petit chapiteau était déjà en place - mais quelque chose me disait que là n’était pas la place du grand Lefebvre. Je cherchais à comprendre par quel curieux mécanisme intellectuel sa présence à Saint-Hilaire pouvait inciter le bedaud à acquérir une nouvelle table de salon imitation épicea, payable en treize mensualités égales. Tel sont en effet les effets méconnus de Jean Lefebvre.

Son ami C-Jérôme semble d’ailleurs posséder une vertu quasi-équivalente. On se sent en sa présence poussé à l’achat de rhododendrons. C’est du moins ce que je déduis de son parrainage, à Cerisy-Belle-Etoile, de la Fête des Rhododendrons. C’est écrit à l’entrée de la Salle Polyvalente, là-même où le mois dernier figurait l’écriteau « Ne pas entrer en bottes ». Que je soit transformé en Bernard Menez si je mens.

Je soupçonne d’ailleurs Bernard Menez d’être la « star-mystère », dont la présence doit honorer la liquidation exceptionnelle d’un magasin de meubles de l’Avranchin. On voit par là la supériorité intellectuelle du marchand de meubles de l’Avranchin. Là où son imbécile collègue de Saint-Hilaire annonce la présence d’un acteur qu’il serait mensonger de qualifier de phénix de l’actualité cinématographique, le génie de l’Avranchin entretient un doute mystique sur l’identité de la star invitée. Telle est l’utilité de la « star-mystère » : on ne saurait prédire s’il s’agit de Leonardo DiCaprio ou de Bernard Menez. Remarquez, on s’en doute tout de même un peu.

Alors, dans le petit matin brumeux du Vézinet passe une vieille DS noire. Son chauffeur n’est autre que Jean Lefebvre. A ses côtés, Pierre Mondy, invité mystère pour un déstockage massif chez Tagada International, route de Donfront au Teilleul. C-Jérôme chantonne à l’arrière. Ils attendent Bernard Menez. Les frais de transport sont ainsi partagés, c’est le grand avantage. D’autant que la DS de Jean Lefebvre consomme assez peu. Même lorsqu’elle traîne la petite remorque bleue où s’entasseront tout-à-l’heure toutes leurs récompenses.

PIERRE LAZULY
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