Les Chroniques du Menteur
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Clio thérapie

lundi 18 octobre 1999, par Pierre Lazuly

Le slogan s’étale, en pleine page, dans tous les magazines. On l’aperçoit aussi, en 4 mètres sur 3, placardé dans les villes : « On devrait tous s’offrir une Clio thérapie ». Ils sont gentils chez Renault, mais avant de se payer une aussi coûteuse thérapie, il faudrait encore être certain d’avoir contracté la bonne maladie.

Et quels sont, docteur, les symptômes de cette Clio-maladie ? C’est difficile à dire ; la publicité Renault ne les décrit pas. Ce qui laisserait à penser que ladite maladie serait plutôt du genre honteuse. D’habitude, on trouve toujours quelques indications sur les symptômes dans les publicités pour les cures ou les médicaments. Chez Renault, c’est le mutisme complet : pas un mot sur les symptômes, ni sur son mode de propagation. Quel peut bien être le mal dont souffrent ces millions de personnes à qui (je cite) « Clio fait un bien fou » ? L’insomnie, le mal de tête, ou bien la constipation ?

Faute de données scientifiques, j’en suis réduit à émettre mes propres hypothèses, à formuler mes propres propositions. En l’occurrence, que l’achat d’une voiture neuve, Clio ou non, ne peut servir qu’à une chose : à tenter d’oublier que l’on a une vie de con. Et encore, même pour ça, l’efficacité du médicament reste toujours à prouver.

Ça n’est pas pour me vanter, mais pour vérifier les dires de la publicité, j’ai personnellement testé cette thérapie (enfin, pour l’oubli de la vie de con, pas pour la constipation). Un vendredi soir, comme ça, après une journée de travail particulièrement sordide, je me suis dit que j’allais m’offrir une bonne Clio thérapie, pour oublier. 200 bornes de quatre voies pour le plaisir, dans une Clio verdâtre à vous faire pâlir d’envie, avec direction assistée et vitres électriques (même si celle du conducteur n’est plus électrique que dans ses bons moments - c’est peut-être pour ça qu’il faut en changer tous les deux ans).

Au départ, je dois avouer, j’étais plutôt content ; ça roulait à peu près bien, et la cassette de Keith Jarreth arrivait tant bien que mal à couvrir les ronflements du moteur. C’est vingt kilomètres plus tard que l’efficacité de la thérapie a commencé à décliner. Dans un bouchon, que j’étais. Et un bon. Dix kilomètres « en accordéon », comme ils disaient à la radio. J’avais beau avoir une Clio, coincé au milieu de la voie express, j’avais toujours ma vie de con.

Oh et puis pas la peine d’avoir un carrosse, hein ! Le gros rougeaud avec la BM, il avait pas l’air plus malin que l’heureux possesseur de la 104 couleur crème. La même vie de con, je vous dis, les même kilomètres en accordéon. Et puis quelques Parisiens qui trouvaient spirituel de doubler tous ces ploucs en empruntant joyeusement la voie d’arrêt d’urgence.

Mais moi, tout de même, j’étais plus con que la moyenne. Je ne pouvais même pas téléphoner ! Je lisais la semaine dernière que 50 à 70% des coups de fil passés depuis un portable l’étaient depuis un véhicule, mais ça ne m’étonne pas. Mes compagnons d’infortune pouvaient raconter en temps réel leur immobilité à leur mère, leur frère et leur belle-soeur. Moi, j’étais tout seul avec mon malheur. On aura beau dire, pour supporter une existence misérable, il vaut mieux avoir tous les accessoires. Un forfait téléphonique à consommer et une radio débile à écouter.

Et moi, dans mon bouchon, je songeais aux puissantes réflexions contenues dans le manifeste « Relevé provisoire de nos griefs contre le despotisme de la vitesse » :

« La fonction créant le besoin et non l’inverse, ce que les moyens de transport permettaient est devenu obligatoire ; si nos ancêtres ne pouvaient, faute de moyens, parcourir de grandes distances, nous, nous devons les parcourir.

Les transports ont permis d’aller plus loin et plus vite, d’accéder à davantage de lieux, qui ont dû être aménagés, principalement à cause de leur fréquentation, et se sont ainsi banalisés. Il a résulté de cet aménagement une spécialisation de l’espace et une redistribution des activités concentrées en différents points du territoire (technopoles, parcs de loisirs, sites prestigieux, centres industriels, commerciaux et administratifs, supermarchés, cités-dortoirs, banlieues, etc.), ce qui nécessite évidemment des transports plus rapides encore pour supprimer les nouvelles distances ainsi créées.

Si nous parcourons en un an plus de distance que nos ancêtres pendant toute une vie, ce n’est pas pour aller ailleurs, mais pour nous rendre toujours aux mêmes endroits ».

PIERRE LAZULY
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