Les Chroniques du Menteur
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Promo sur l’eau salée

lundi 13 novembre 2000, par Pierre Lazuly

Dire que je croyais plaisanter, dans ma dernière chronique, en évoquant naïvement la nécessité de faire mariner coquillages et crustacés dans quelque solution aqueuse avant de pouvoir les consommer ! C’était compter sans les industriels de l’agroalimentaire. Sans leur inénarrable ingéniosité.

À peine avais-je posté ma chronique que je me dirigeai d’un pas alerte et décidé vers la Maison de la Presse pour y quérir, contre menue monnaie, la dernière édition du Canard Enchaîné. Et quelques minutes plus tard, tout ébaubi, je tombais sur la brève que voici : « Entre 1997 et 1999, selon la DGCCRF, le taux de non-conformité des coquilles Saint-Jacques est passé de 17% à 60%. Principale arnaque : le trempage. Cette technique est illégale en Europe (elle consiste à tremper dans une eau additionnée d’un rétenteur la noix, qui du coup se charge comme une éponge de 20 à 30% d’eau). Mais la plupart des pays qui nous vendent des noix de Saint-Jacques (Canada, pays d’Amérique du Sud, Nouvelle-Zélande, Etats-Unis, soit environ 80% des noix de Saint-Jacques que nous consommons) la pratiquent. »

Certes, une « eau additionnée d’un rétenteur », au point où nous en sommes, ça ne risque plus de nous faire peur. Le rétenteur, ça doit être un produit chimique absolument inoffensif, un truc genre E226, vraiment pas méchant, qui offre cependant l’intéressante particularité d’aider à commercialiser de l’eau salée au prix de la coquille. (Ou, tourné différemment, de vendre la noix de Saint-Jacques à un prix drôlement plus attractif pour le chaland). C’était tellement innocent, comme pratique, tellement dans l’air du temps, que je ne comptais même pas vous en parler.

Et puis vendredi, tout à fait par hasard, je suis tombé sur la réclame d’un supermarché. Tenez-vous bien : les noix de Saint-Jacques surgelées avec corail étaient vendues au prix exceptionnel de 39,90F le sachet de 400g, soit 99,75F le kilo ! Origine Pérou, était-il précisé.

Ils sont drôlement malins, je trouve, ces commerçants. C’est vrai, après le naufrage du Ievoli Sun, le succès commercial de coquilles Saint-Jacques « origine Cotentin » était probablement moins certain. Comment voulez-vous, aussi, avec ces crétins de consommateurs saisis de psychoses irrationnelles malgré tout ce qui a été fait en matière de transparence et de traçabilité...

Mais des coquilles du Pérou ! Peut-on imaginer pays plus sain que le Pérou ? Un pays si archaïque que les vaches s’y nourrissent encore d’herbe, c’est vous dire. Et puis surtout, pas le moindre chimiquier agonisant à proximité. (Et quand bien même un chimiquier viendrait à y couler, on ne risquerait pas d’en entendre parler). Des noix de Saint-Jacques « origine Pérou » à moins de 100 francs le kilo, y a pas à dire, c’est une sacrée affaire.

Je me garderai bien d’accuser formellement qui que ce soit ; je ne sais rien de plus que ce que la publicité a bien voulu nous dire de ce lot de coquilles-là. N’empêche, c’est pas pour dire, mais le Pérou, je crois bien que c’est en Amérique en Sud. Et la technique de rétention, « la plupart des pays qui nous vendent des noix de Saint-Jacques (Canada, pays d’Amérique du Sud, Nouvelle-Zélande, Etats-Unis, soit environ 80% des noix de Saint-Jacques que nous consommons) la pratiquent. » Ce qui ne prouve rien, certes, mais alimente tout de même de fortes présomptions.

Le plus troublant, dans cette affaire, c’est que si l’on relit bien la brève du Canard, on apprend d’une part que « cette pratique est illégale en Europe » (donc que nos pêcheurs de Saint-Jacques ne peuvent pas se permettre de vendre de noix « trempées »), mais aussi que « 80% des noix de Saint-Jacques que nous consommons » sont des noix « trempées », et donc qu’il est parfaitement légal de les vendre en Europe sous le nom de Saint-Jacques, sous réserve qu’elles aient été importées.

Et naturellement, à l’heure de la transparence et de la traçabilité, il est toujours aussi difficile de savoir si un sachet de noix de Saint-Jacques est oui ou non « trempé » et s’il fait ou non partie des 60% de coquilles en situation de « non-conformité ».

PIERRE LAZULY

P.-S.

Post-scriptum qui n’a rien à voir : Une petite merveille se nichait dans Le Monde du 5 novembre, une jolie définition de la « simplicité » glissée dans un portrait consacré au gouverneur de la Banque centrale Européenne : « [Wim Duisenberg] sait surprendre par sa simplicité : entre employés de la BCE, on raconte qu’il a, lors d’un déplacement, pris le volant d’une toute nouvelle Mercedes de fonction, pour le seul plaisir de l’essayer. Son chauffeur a fait une partie du trajet assis à l’arrière. » Monsieur est vraiment trop bon avec le personnel.

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