Je n’avais pas voulu y croire, au départ, à cette histoire de clonage humain des Raëliens. Je suis un peu comme Saint-Thomas : je ne crois que ce que je vois, et je refusais d’admettre la naissance de ce bébé cloné tant qu’on ne me l’aurait pas prouvée par A+B. Hélas, il a bien fallu que je me rende à l’évidence : les clones étaient déjà arrivés en France.
Si j’en crois les informations publiées hier par Le Monde, l’AFP et Reuters, Nicolas Sarkozy aurait en effet été observé, pour la seule nuit de la Saint-Sylvestre, au Ministère de l’Intérieur (place Beauvau), mais aussi place de l’Etoile et sur les Champs-Elysées, au commissariat du XIXème arrondissement, à la caserne des pompiers de la place Champerret (dans le XVIIème arrondissement), en compagnie d’une compagnie de CRS dans le quartier sensible des Tarterêts à Corbeil-Essonnes, à la direction départementale de la sécurité publique d’Evry, au siège de l’état-major des sapeurs-pompiers de Paris, ainsi qu’à la brigade territoriale de gendarmerie de Fleury-Merogis (assis sur un bureau, évoquant les souliers des nouveaux uniformes - ce que n’a pas manqué de rapporter Le Monde dans son ineffable « Il est 3 heures du matin en 2003, et Nicolas Sarkozy est "toujours là" »).
Inutile de vous dire que si un meurtre avait été commis cette nuit-là, il aurait été bien en peine de faire avaler aux enquêteurs la crédibilité d’un tel alibi : jamais un être humain n’avait jusque là fréquenté autant d’endroits en une seule nuit. Non, vraiment, tout esprit cartésien se sera rendu à l’évidence : il ne pouvait s’agir que de clones du ministre, qui s’étaient partagé équitablement « le terrain » d’Ile-de-France. Après tout, les gendarmes en carton-pâte que l’on disséminait le long des routes de France n’avaient-ils pas fait leurs preuves ? Démultiplier les ministres médiatiques n’en était que le prolongement logique.
Je sais ce que vous allez me dire : ce n’était peut-être que des sosies. Moi-même j’ai eu un doute : c’est vrai qu’on ne parlait jusque là que de clones de bébés et qu’un Sarkozy en lingette aurait sans doute été d’une moindre efficacité. J’étais donc des plus sceptiques, mais une interview du gourou Raël, donnée à Libération l’an dernier, m’a sérieusement fait douter : « Quand j’étais chez les Elohim (les extraterrestres qui l’auraient enlevé, ndlr), ils m’ont montré comment on pouvait cloner des adultes, grâce à un processus de croissance accélérée ».
Tout le monde s’en doutait : cloner des bébés, ça n’avait pas grand intérêt ; c’était tout juste bon à alimenter les journaux désoeuvrés. Mais cloner des adultes, ça, c’était inespéré : on pourrait bientôt démultiplier la même vedette sur plusieurs chaînes de télé et envoyer le même homme politique sur des tas de terrains en même temps !
Pour en savoir un peu plus, je me suis rendu dans une discrète PME du Poitou, spécialiste en clonage d’hommes de terrain, dont le directeur général a bien voulu répondre à mes questions en surveillant l’imposant aquarium où une vingtaine de Roselyne Bachelot se trouvaient apparemment en phase de croissance accélérée. Alors que je m’étonnais de voir autant de clones d’une ministre qui n’était peut-être pas la plus indispensable, mon interlocuteur m’a tranquillement expliqué : « Vous n’étiez pas au courant que des galettes du Prestige avaient fait leur apparition sur les plages du Pays Basque et atteindraient bientôt l’estuaire de la Gironde ? La voilà, la raison ! Vous savez très bien que ce que l’on a reproché à Dominique Voynet, ce n’est pas son travail de ministre : c’est de ne pas s’être rendue sur place après la catastrophe de l’Erika. Eh bien là, croyez-moi, des ministres de l’écologie, vous en aurez sur toutes les plages du Sud-Ouest ! ».
J’objectais que la science n’était peut-être pas encore parfaitement au point, et que, peut-être, les clones de ministres pourraient être à l’origine de gaffes plus importantes encore que celles des ministres authentiques. Jean-Paul Renard, spécialiste du clonage animal à l’Institut national de la recherche agronomique, ne venait-il pas de déclarer dans Libé : « Pour trois ou quatre clones qui vont naître, il y aura 30 à 40% d’anormaux, un risque inacceptable en médecine ! ». Mon interlocuteur souriait toujours. « Certains ont quelques difficultés à maîtriser la langue qui doit être celle d’un ministre, c’est vrai », admit-il, « c’est d’ailleurs ce qui explique que vous ayez lu jeudi dans Le Monde une Roselyne Bachelot déclarer que "cette merde qu’est la marée noire, quand on n’a pas les mains dedans, on ne peut pas comprendre ce que c’est". C’est le principal défaut de nos clones, à l’heure actuelle, ils s’expriment parfois comme des charretiers ».
J’étais tout de même assez impressionné. « Mais, d’un point de vue physique, la ressemblance est toujours à ce point parfaite ? ». La question avait l’air de l’embarrasser un peu. « Pas toujours, hélas, mais certains de nos produits imparfaits parviennent tout de même à trouver des débouchés sur le marché. Comme ce clone imparfait du ministre de l’Intérieur, qui ne pouvait décemment pas faire illusion dans les commissariats : on l’a prénommé Guillaume et il fait désormais une brillante carrière en tant que vice-président du Medef. Vous savez, celui qui déclarait récemment être un patron "fier de délocaliser". Il ne délocalise pas les sans-papiers, c’est sûr, mais l’essentiel de l’esprit lui est quand même resté ».
Avant de prendre congé, j’ai voulu savoir quelles perspectives il voyait pour son entreprise. « La décentralisation, vous connaissez ? Pour nous, c’est du pain bénit ! Vous verrez, l’an prochain, les trois malheureux Sarkozy qui se partageaient l’Ile-de-France, ils auront fait des petits. On nous en a déjà commandé deux rien que pour Strasbourg ! Des ministres décentralisés, il y en aura partout : au moindre fait divers, vous les verrez débarquer près de chez vous. Et croyez-moi, ça ne coûte pas très cher à produire, comparé aux bénéfices escomptés ! Mais pour notre entreprise, bien sûr, la première priorité, c’est de rester discret : je ne vous ai répondu que parce que vous avez une audience confidentielle, mais c’est déjà à la limite de la faute professionnelle ».
Je le remerciai vivement pour ses confidences - belle exclusivité pour la reprise des chroniques - et repris ma route à travers les marais poitevins. Une radio locale diffusait la voix d’un Jean-Pierre Raffarin, mais lequel ? « Je dis aux jeunes : la fête, c’est la vie. La vie, c’est ton visage ! », expliquait-il dans une logique de clone, avant de conclure : « L’alcool accélère la vitesse ». Finalement, en les écoutant, c’était assez facile de les reconnaître.