J’aime beaucoup Xavière Tiberi. Sa naïveté est émouvante. Interrogée dans l’affaire de son (plus que) présumé emploi fictif, l’épouse de l’inénarrable maire de Paris déclarait hier : « Je conteste absolument le caractère fictif de mon emploi. Je conteste absolument le caractère fictif des 46 pages qui ont fait se gausser la presse ». Allusion au fameux rapport sur la francophonie commandé par le conseil général de l’Essonne ; rapport qui, au passage, ne fait que 36 pages.
Quoi qu’il en soit, nul n’a jamais prétendu que ledit rapport était fictif : les 36 pages étaient indéniablement réelles, puisque des milliers de personnes les ont lues et les ont même trouvées du plus parfait grotesque. Quelle formation délirante, quel improbable doctorat fallait-il donc avoir pour pouvoir facturer 200.000 francs à un conseil régional un rapport grotesque, de surcroît truffé de fautes d’orthographe ? Une « formation globale », explique avec candeur Xavière Tibéri : « J’ai eu une formation globale du fait de 41 ans de vie commune avec (Jean Tiberi), j’ai été appelée à rencontrer des ambassadeurs, j’ai des preuves que des érudits m’ont reçue ». Rien de tel que 41 ans de cocktails pour devenir un expert de la francophonie. C’est bien connu.
Le public était d’ailleurs venu nombreux hier pour applaudir la mère Ubu : « C’est mieux que les Guignols », s’est exclamé un spectateur, s’attirant aussitôt les foudres d’un habitant - probablement fictif - du Vème arrondissement, venu soutenir l’épouse du maire de Paris - probablement pour conserver le bénéfice de son appartement. C’est un « procès politique », répétait sans cesse à la barre Xavière Tibéri. Mais l’obtention du boulot l’était un peu aussi, non ?
Pendant ce temps, le président chinois Jiang Zemin ignore les militants des Droits de l’Homme et fait tranquillement ses affaires en Angleterre. Il est venu y « honorer les relations sino-britanniques de 3,5 milliards de dollars de contrats ». Et les manifestants tibétains font rien qu’à l’embêter pendant qu’il essaie de causer sérieusement de tous les sujets importants.
Un Tibétain, emprisonné dans le passé dans son pays, est parvenu à barrer brièvement la route à la voiture officielle du président chinois sur l’une des principales avenues du centre de Londres, le Strand. Six policiers se sont rués sur l’homme à vélo qui agitait un drapeau aux couleurs tibétaines. C’est si dangereux, un Tibétain à vélo qui agite un drapeau.
Mais comment recevoir, alors, le tristement célèbre Jiang Zemin dans le pays des Droits de l’Homme ? Plus dignement encore. L’honorable client sera en France du 22 au 26 octobre, pour honorer les relations franco-chinoises ou sino-françaises sans doute, mais surtout pour honorer quelques milliards de dollars de contrats.
Un tortionnaire disposant d’un tel pouvoir d’achat, s’est dit Jacques Chirac, ça mérite quand même un traitement spécial de la part du chef de l’État. Jiang Zemin sera donc d’abord accueilli, à titre privé, par son ami Jacques et sa Nadette dans leur château de Bity, en Corrèze.
Pour sauver les apparences, un dissident chinois sera toutefois reçu vendredi à l’Assemblée Nationale. Petite récupération médiatique d’un expert de la chose, Jack Lang, qui a toutefois le mérite de dénoncer « les arrestations arbitraires, détentions administratives, expulsions de dissidents, emprisonnements sans procès, censure, travail forcé, exécutions massives, minorités brimées et Tibet isolé », et une « répression [qui] s’est encore accentuée cette année qui marquait le dixième anniversaire des massacres de Tien Anmen ».
Wei Jingsheng, principal animateur du premier Printemps de Pékin, a passé dix-huit ans en prison en Chine avant d’être expulsé en 1997. Je me souviens encore du dessin paru dans le Canard Enchaîné lors de la dernière visite de Wei Jingsheng, où l’on voyait Chirac et Jospin lui donnant une petite tape dans le dos : « Vous reviendrez quand vous aurez de quoi vous payer quelques Airbus ».
Une chose est sûre : le cynisme des chefs d’État n’a rien de fictif. On appelle d’ailleurs ça « le pragmatisme ».