Les Chroniques du Menteur
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Devine ce que je vais t’offrir

jeudi 24 décembre 1998, par Pierre Lazuly

Il faut tout de même reconnaître à notre époque certaines qualités, surtout à l’approche des fêtes. Si, il y a quelques années, le choix des cadeaux de Noël était un vrai casse-tête, il faut avouer que le marketing a bien arrangé les choses : on sait désormais ce qu’il nous faut acheter. Ola, SFR et Bouygues s’excitent : à chacun son mobile, son forfait, sa bêtise. Même le père Noël, si j’en crois la publicité, ronchonne d’en avoir tant à distribuer. Cette année, pas moyen d’y échapper, vous offrirez un mobile à vos enfants, à votre grand-tante, voire même, si elle ne vous a pas quitté, à votre copine.

Tels sont les effets du marketing. Et, entre nous, vous avez bien raison d’offrir un téléphone mobile : en vous débrouillant bien il vous sera offert. Rien n’est plus économique que d’offrir un cadeau gratuit. (Il suffit de se procurer le RIB du bénéficiaire du cadeau afin de lui faire souscrire un abonnement d’un an minimum à un service inutile). Offrez donc (ça ne vous coûte rien) un téléphone gratuit à votre frangine ! Faites preuve d’originalité ! Vous avez la possibilité de choisir entre 15.000 forfaits liberté, coffrets malins et attrape-couillons packagés ! Choisissez « le forfait correspondant à votre personnalité » !

Mais moi, sans vouloir me vanter, je l’aime bien ma frangine. Je n’ai pas envie de lui faire payer mon conformisme et ma médiocrité et de lui foutre dans les pattes un abonnement d’un an renouvelable tacitement. Pas envie d’envoyer ma tante vers le calvaire des hot-lines informatiques et des plantages inexpliqués d’un Windows imbécile.

Oui, décidément, c’est dans cette période des « fêtes » que se manifeste le plus cruellement mon inadaptation au monde moderne. Les grandes surfaces me font vomir. J’arrive tout juste à passer à la boulangerie et à la maison de la presse. Heureusement, j’avais fait provision de soupes en briques et le restaurant d’entreprise m’apporte un semblant de protides. Je l’avoue sans honte : je n’ai pas réussi à mettre à profit ces dernières semaines pour comparer les mérites respectifs des différents constructeurs d’inutile. J’ai d’ailleurs reçu (ou était-ce un rêve ?) un sévère avertissement d’une importante commission qui me menaçait de me retirer mon titre dit honorifique d’ingénieur en informatique. Pour trahison de l’idéal de la profession. Pour archaïsme.

Je me suis alors réfugié chez le seul commerçant dans l’oeil duquel subsiste une lueur d’intelligence, archaïque mais tenace : mon libraire. Car, on a beau gloser comme un Allègre sur la « bataille de l’intelligence » et la méta-pédagogie cognitive différenciée que permettent les nouvelles technologies, il suffit d’échanger quelques paroles avec un libraire et un revendeur informatique pour distinguer très clairement lequel des deux l’a gagnée, la bataille de l’intelligence.

J’ai donc effectué l’ensemble des achats de Noël dans la seule boutique où je me sente à l’aise, où la valeur d’un cadeau ne se mesure pas à la malignité de son forfait, mais à ce petit plus, indicible, qui n’appartient qu’aux livres. Lorsqu’une fille aux yeux qui pétillent vous offre un livre en vous laissant entendre que vous saurez y lire des choses qui n’y sont pas écrites. Rien n’égalera jamais un tel cadeau.

Mais qui dit livre, en cette époque moderne, dit Amazon, Alapage, FnacOnLine, et autres sites qui, comme le souligne Dominique Strauss-Kahn, créent des emplois (en attendant d’en supprimer beaucoup). Je tiens donc à préciser aux apôtres du commerce en ligne que je n’ai volontairement commandé aucun de ces bouquins sur Internet. Ça doit être mon côté archaïque, mais je préfère m’adresser à un individu souriant qui sait encore lire des livres qu’à un site Web anonyme géré par un informaticien inculte et un financier qui ne l’est pas moins.

Joyeux Noël à tous ! Puisse le vieux barbu, comme le surnomment affectueusement les publicités Itinéris, vous apporter tout plein de petits bonheurs imprévisibles en lieu et place des suggestions bébêtes du marketing.

PIERRE LAZULY
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