Les Chroniques du Menteur
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Electrocution à distance

mercredi 9 juin 1999, par Pierre Lazuly

Les prisons américaines, dont la modernité n’est plus à démontrer, se sont récemment dotées d’un nouvel outil pour contrôler leurs prisonniers : des ceintures électriques permettant de les électrocuter à distance, « en cas de fuite ou de violence ». Ces ceintures, indiquait hier un rapport d’Amnesty International, sont désormais utilisées dans 30 des 50 États américains, ainsi que par les autorités fédérales lors des transferts de détenus ou leur comparution devant un tribunal.

Le concept est des plus simples : le détenu porte la ceinture, dont la télécommande est confiée à un gardien. (Le contraire aurait été franchement surprenant.) Si le détenu « cherche à s’échapper ou s’il devient violent », le gardien peut à tout moment lui envoyer une décharge de 50.000 volts, d’une distance pouvant aller jusqu’à 900 mètres. La décharge dure huit secondes et jette le prisonnier à terre, lui faisant perdre temporairement tout contrôle de lui-même.

Dénonçant ce qu’elle a qualifié, avec sa mauvaise foi habituelle, de « forme la plus haineuse de brutalité high tech », Amnesty International a demandé l’interdiction de ces ceintures, que les Etats-Unis sont le seul pays à utiliser à grande échelle. Dans son rapport, Amnesty affirme qu’elles ont été employées à plus de 50.000 occasions ces cinq dernières années, dans 130 juridictions américaines.

La société Stun Tech, qui fournit 90% du marché, insiste sur l’aspect dissuasif de son produit miraculeux, la REACT belt (« ceinture qui réagit »). « C’est une méthode alternative pour contrôler quelqu’un qui s’enfuit [...] et c’est beaucoup moins dangereux que d’avoir à courir pour le frapper ou l’abattre », a expliqué à l’AFP son président, Dennis Kaufman. Sans compter que les détenus qui la portent « sont beaucoup moins enclins à provoquer un problème ».

Certes, Dennis Kaufman reconnaît bien que certaines ceintures se sont déclenchées accidentellement, mais par 27 autres fois, la ceinture a été volontairement activée, « sans aucun problème ».

En février dernier, lorsqu’il a plaidé - en vain - pour sa vie devant la commission des grâces de l’Arizona, le condamné à mort allemand Karl LaGrand en était équipé. Des fois que ses menottes, les chaînes à ses pieds, et les policiers qui l’encadraient ne le dissuadent pas suffisamment de s’échapper.

En juin 1998, Ronnie Hawkins, un détenu noir malade du SIDA, était également « ceinturé » lorsqu’il a comparu devant un tribunal de Long Beach, accusé d’avoir volé pour 200 dollars d’aspirine. Estimant qu’il parlait trop, le juge a ordonné à un huissier d’activer la ceinture et Hawkins s’est instantanément retrouvé cloué au sol. (Ce qui démontre bien son efficacité.) Rien n’est plus ennuyeux pour un juge qu’un prisonnier trop bavard. Surtout lorsqu’il est noir.

Mais pour Amnesty International, qui voit le mal partout, la ceinture « incite aux abus ». Amnesty dénonce d’ailleurs plusieurs cas où la ceinture a été utilisée comme punition, voire sans aucune raison. « Portée sur les vêtements, elle ne laisse aucune trace », a expliqué le directeur d’Amnesty pour les Etats-Unis, dénonçant également la « torture psychologique » infligée au prisonnier qui vit dans la crainte permanente d’une décharge électrique.

Telles sont les dernières nouvelles de la civilisation américaine. On n’en relira qu’avec plus d’intérêt « L’emprisonnement des « classes dangereuses » aux Etats-Unis » de Loïc Wacquant, paru l’été dernier.

Pendant ce temps, le directeur de l’usine Saria de Concarneau, une usine du premier groupe européen de fabrication de farines animales, dément formellement utiliser des boues de stations d’épuration pour fabriquer des aliments pour élevages. C’est pourtant ce qu’affirme ce matin le Canard Enchaîné, sur la base d’un rapport interne de la Direction nationale des enquêtes et de la répression des fraudes. On ne sait vraiment qui croire.

PIERRE LAZULY
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