« S’envoler vers l’Asie en dégustant des mets exquis accompagnés d’un grand cru » : tel est le concept novateur proposée par la compagnie aérienne allemande Lufthansa à ses gentils clients. Emile Jung, un célèbre chef alsacien, a ouvert début septembre ces vols hautement gastronomiques, réservés aux clients les plus malins : les détenteurs d’un billet Business Class.
Les menus, présentés comme dans un feuillet cartonné imitant la peau du crocodile, allient des ingrédients typiquement alsaciens et des saveurs égyptiennes. Parmi les mets proposés : une terrine de filets de harengs accompagnée d’une mousse de poivrons rouges, suivie d’un filet de sandre sur choucroute aux baies de genièvre ou d’une blanquette de veau à l’égyptienne. La carte des desserts renferme des délices tels que le parfait aux noix à la bergamote ou encore des baies sauvages en gelée.
Cette initiavive intervient dans la cadre du « nouveau produit long-courrier » de la Lufthansa, laquelle souhaite améliorer ses prestations (le contraire m’aurait étonné) afin de mieux répondre aux attentes de ses clients, lesquels s’en vont profiter des « opportunités offertes par la crise asiatique » (dixit Jean-Marc Sylvestre).
Peut-être auront-ils la chance d’apercevoir, en dégustant leur dessert, la décharge publique de Békasi, où vivent 15.000 personnes, dans un paysage cauchemardesque, sur un tapis de mouches noires, à moins de cinquante kilomètres au sud des immeubles de verre et d’acier de Jakarta.
« Ils viennent de partout, de Sumatra, de Jakarta, de Java, je sais, je suis l’un d’eux », explique Narman, arrivé il y a plus d’un mois avec sa femme, sa fille et quatre autres familles. Plus d’argent pour acheter des pesticides, une récolte dévorée par les insectes, plus rien à manger : leur dernier espoir, c’était la grande ville.
Ils ont appris à vivre dans sa décharge : 1 kilo de papier rapporte 300 roupies (0,3 dollars), une bouteille de plastique aussi, une boite en carton 400. Si toute la famille s’y met, ils peuvent arriver à faire 7.000 roupies dans la journée (0,63 dollars). « Ce n’est jamais assez. Il nous faut 10.000 roupies par jour mais on arrive jamais à en faire plus de 7.000. Le prix du riz a doublé, pas celui des ordures », explique Narman. Pour être autorisé à construire sa baraque au milieu des ordures, il a dû débourser un loyer de 10.000 roupies.
Le client, heureusement, ne sait rien de tout ça.
Il en perdrait l’appétit.
« Il y a des mineurs sous la terre qui piochent pour un rentier. Il y a des confectionneuses en chambre qui s’épuisent pour les coquettes acheteuses d’un grand magasin. Il y a des malheureux en ce moment, qui ajustent et collent des jouets par centaines, et à vil prix, pour le plaisir des enfants riches. Ni les enfants riches, ni les élégantes, ni les rentiers ne pensent à tout cela [...] Chacun, à toute minute, tue le mandarin ; et la société est une merveilleuse machine qui permet aux bonnes gens d’être cruels sans le savoir »
(Alain, « Propos sur le bonheur »).