Les Chroniques du Menteur
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Le retour de Mister Bean

vendredi 11 septembre 1998, par Pierre Lazuly

Journée noire hier sur toutes les places boursières : -4,5% à Paris, -5,8% à Frankfort, -3,2% à New-York, mais surtout un véritable krach en Amérique Latine : -15% au Brésil et -10% au Mexique.

Difficile, dans ces conditions, de continuer à pavoiser en chantonnant « 2,7% de croissance nous aurons » et « des emplois par millions nous créerons ». L’Alliance des égoïstes, elle, en profite pour claironner à qui veut l’entendre - et beaucoup veulent l’entendre - qu’on ne peut jamais vraiment compter sur la croissance et qu’il valait mieux, dans le doute, continuer à sabrer dans les budgets publics et réduire leurs impôts, afin qu’ils prennent des risques et créent des emplois.

Au sujet de la crise financière, je vous conseille cette intéressante analyse de l’ami Arno : « La pyramide est la plus grande arnaque du siècle ; c’est sur ce modèle que fonctionne le système boursier depuis environ 15 ans. Nous assistons aujourd’hui à la conclusion logique de toute pyramide qui atteint ses limites d’expansion : l’effondrement. Il n’y a plus de gogos à séduire, plus d’argent frais pour rétribuer les précédents investisseurs, donc le système est en faillite » (Ni vu ni connu, je t’embrouille)

Toutes les bourses étaient donc en forte baisse hier. Toutes, sauf une : au milieu de la morosité ambiante, la bourse de Moscou s’octroyait un beau +8,74%. La stabilité politique devrait enfin y être retrouvée, avec l’annonce d’un gouvernement de coalition regroupant communistes et libéraux. Chez nous, on appelle ça une majorité plurielle.



HOUELLEBECQ TOUJOURS

Beaucoup de courriers sur le « cas » Houellebecq, suite à la chronique où j’exprimais ma plus grande réserve à l’égard de son dernier roman, après mon emballement pour ses livres précédents.

Franck, notamment, écrit : « Je n’ai lu que le premier roman de Houellebecq, "Extension du domaine de la lutte". Mais il me semble, à la lumière des citations choisies par Lazuly, que la même grille de lecture, appliquée à ce premier roman, conduirait à des interprétations du même ordre. Que dire du passage ou le narrateur pousse l’un de ces collègue au meurtre ? Et de sa manière de décrire les punks qui traînent dans une gare de province ? Sans doute Houellebecq a-t-il franchi un pas de plus vers l’expression, au travers de ces personnages, des dérives tragiques auquelles sont conduits des êtres sans illusions, victimes du "suicide occidental" »

Je viens d’entendre Michel Polac en parler, sur France Inter. Dire qu’il avait adoré le premier, qu’ils s’étaient rencontrés par la suite et étaient devenus amis. Ça m’a pas mal rassuré. Un ami de Polac ne peut pas être fondamentalement mauvais. Polac avouait cependant ne pas trop aimer le dernier, et recommandait plutôt la lecture d’« Interventions », recueil d’entrevues qu’Houellebecq avait accordées. Je vous en reparlerai.

Une chose est sûre, cependant : en s’éloignant du style narratif désabusé qui m’avait tant plu dans Extension du domaine de la lutte et en commettant un roman d’idées qui prend bien souvent la couleur de l’essai, certaines considérations passent plus mal. L’humour est plus difficile à cerner. A vous de le lire, et de juger. Ce livre, au moins, fait réfléchir.

C’était d’ailleurs la conclusion de Pierre Marcelle, hier dans Libération : « Comment ? Ce que je pense, moi des "Particules Élémentaires" ? Ah ! oui... Globalement, pour reprendre un adverbe cher à Michel Houellebecq et à Georges Marchais, du bien. J’en pense du bien (il met mal à l’aise et il fait réfléchir). Mais la question n’est pas là. »



LE RETOUR DE MISTER BEAN

Jean-Pierre Chevènement est sorti du coma et peut désormais reconnaître ses proches. Sans compter qu’une jolie surprise l’attend : la lecture des dépêches publiées à son sujet, le jour de son accident. Il n’aura certainement jamais lu autant d’éloges.



UNE AFFAIRE DE NANTIS (une dépêche AFP)

La consommation mondiale a sextuplé depuis 1950 mais reste « essentiellement l’affaire des nantis », car un milliard d’humains sont toujours privés de l’essentiel (nutrition, eau..), indique le PNUD dans son rapport 1998, publié mercredi.

Cet « emballement » a permis d’améliorer le confort d’une partie de la population mondiale, mais les progrès sont loin d’être partagés, précise le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), qui s’inquiète même de « déséquilibres croissants ». Les 20% les plus aisés de l’Humanité sont responsables de 86% de la consommation : ils s’approprient 58% de l’énergie mondiale (contre 4% pour les 20% les plus pauvres), 45% de la viande et du poisson (5% pour les plus pauvres), 87% des véhicules (contre moins de 1%), 74% des téléphones (contre 1,5%). En Afrique, la consommation par habitant a reculé de 20% depuis 1980. Dans le monde en développement (sauf Chine et Inde), le recul a été de 1% par an depuis 15 ans.

Aujourd’hui, près de la moitié de la population mondiale, soit 2,6 milliards de personnes, sont dépourvues d’infrastructures sanitaires, un milliard de logements corrects, 1,3 milliard d’eau propre, 880 millions de services de santé, et 841 millions d’alimentation suffisante. La même fracture se retrouve dans chaque pays : 30 millions d’Américains souffrent de la faim, et au Canada, 2,5 millions ont bénéficié d’une aide alimentaire en 1994, rappelle le PNUD.

Au fur et à mesure que l’économie se mondialise, les modes de consommation s’uniformisent (McDonald’s possédait 21.000 restaurants en 1996, contre 12.400 en 1991). Quant à la publicité, elle "submerge" la planète, avec un budget mondial est de 435 milliards de dollars, et contribue à faire vendre au Sud des produits potentiellement nocifs (pesticides...), sans que le Sud ne dispose des mêmes outils de protection (associations de consommateurs, éducation à la sécurité) que le Nord.

Enfin, la fièvre consumériste « soumet l’environnement à de pressions sans précédent » : la consommation d’électricité a doublé entre 1980 et 1995 dans le monde, celle d’eau douce a doublé depuis 1960, et celle de combustibles fossiles a quintuplé depuis 1950. La vulnérabilité des plus pauvres, très dépendants du patrimoine naturel, s’en trouve accrue : 500 millions de personnes vivent dans des zones menacées par la « crise des ressources renouvelables » (déforestation, dégradation des sols, prélèvements abusifs d’eau...).


Lire également, dans Libération d’hier : L’un consomme, les autres pas


Je vous signale enfin une Black Session de P.J.Harvey lundi prochain à 21h30 sur France Inter. Bon week-end !

PIERRE LAZULY
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