« Cher Monsieur Lazuly, L’EXPRESS vient aujourd’hui à votre rencontre », m’écrit avec emphase le directeur des abonnements de ce journal périclitant. « Grattez vite les cases ci-dessous », poursuit innocemment mon aimable correspondant. Je le soupçonne d’avoir quelque chose à me vendre.
Je m’empresse pourtant de gratter la première case (je suis très joueur) : « 260F de réduction ». Hélas ! cette affriolante réduction est barrée d’une croix noire. La déveine... Je gratte tout de même, sans trop y croire, une seconde case... et là, surprise : « Pour vous, 408F de réduction ! ». J’en reste pantois. 408 francs de réduction, ce n’est pas rien ! Sans compter le superbe sac de voyage en cuir... Car sans vouloir me vanter, le directeur des abonnements a le plaisir de m’offrir personnellement un « magnifique » sac de voyage en cuir naturel, fait de « matière authentique et de détails intelligents », qui « donne irrésistiblement envie d’y glisser quelques vêtements ».
« Comme vous pouvez l’imaginer, il nous est impossible de proposer une offre d’abonnement aussi exceptionnelle au plus grand nombre », poursuit-il, flatteur. Manière de dire qu’il la réserve à de riches imbéciles. « Je suis certain, Cher Monsieur Lazuly, que vous ne laisserez pas passer une telle opportunité ». J’en ai bien peur, pourtant.
« L’EXPRESS », insiste encore lourdement le directeur, « est une véritable bouffée d’oxygène dans l’univers de l’information. Chaque rendez-vous hebdomadaire avec L’EXPRESS vous montrera qu’il existe une autre façon de lire l’actualité, de comprendre notre société et le monde qui nous entoure ». (Qui l’eût cru ?). « Je me réjouis à l’avance de vous compter parmi nos abonnés », conclut-il alors avec conviction.
Me voilà bien embêté. Le pauvre homme, quelle ne va pas être sa déception ! Ce n’est pas qu’un sac de cuir authentique ne me fasse pas plaisir. Je n’ai évidemment rien contre bénéficier de 408 francs d’économie. Et j’accepterais avec joie la montre L’EXPRESS qui m’est réservée (celle-là même qui porte un « numéro personnalisé (sic) gravé au dos du boîtier »).
Et pourtant, je vais devoir décliner sa mirobolante proposition. Comment, sans le froisser, lui expliquer ma décision ? Dois-je lui expliquer que je doute de la qualité éditoriale d’un journal qui vante en première page les mérites d’un malheureux sac en cuir jaune et qui n’évoque que vaguement à la fin de son argumentaire l’intérêt de son contenu rédactionnel ? Dois-je vraiment lui écrire que je rechigne à m’abonner à un journal qui, de toute évidence, prend ses lecteurs pour des imbéciles ?
Ou faut-il laisser parler d’elles-mêmes les quelques "unes" qu’il m’envoie en exemple ? Des "unes" qui sont pourtant censées éveiller ma curiosité de cadre présumé : le traditionnel dossier « Le salaire des cadres », le tout aussi traditionnel « Lycées : le classement ville par ville », l’indispensable « Ce que l’Etat fait de notre argent (primes des fonctionnaires, avantages exorbitants », le passionnant « Bourse : le palmarès des grands perdants » et enfin ma préférée : « Business classe : le dépouillé chic pour assurer au bureau ».
Telles sont les préoccupations des imbéciles. Désormais, ils ont leur magazine. (Et un horrible sac en cuir jaune).