Les Chroniques du Menteur
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Rien n’est caché

lundi 11 janvier 1999, par Pierre Lazuly

C’était au printemps dernier, à l’époque où l’affaire des wagons radioactifs de la SNCF défrayait la chronique. Afin de rassurer les populations locales, Christian Pierret, le secrétaire bêta à l’industrie, s’était rendu en personne auprès du convoi suspect et avait examiné les wagons radioactifs. « On ne voit pas rien (sic), rien n’est caché », avait-il alors déclaré. Il s’attendait sans doute à voir des photons courir dans les wagons. Il était bien content de ne pas en avoir trouvé. Tel est le grand avantage du déchet radioactif : il sait se faire discret. (Surtout lorsqu’il sait que monsieur Pierret est là pour l’observer).

Il y a aujourd’hui fort à parier que les compétences étendues de cet expert en nucléaire seront dans les prochains jours à nouveau sollicitées. Le groupe industriel français Saint-Gobain s’est en effet aventuré dans une bien triste affaire. Ou, selon la formule consacrée, il n’a pas bien su communiquer sur un dossier sensible. Selon le quotidien France Soir, « le groupe industriel français Saint-Gobain se débarrasse de ses déchets radioactifs en les dispersant dans la laine de verre vendue au public ». Saint-Gobain aurait ainsi écoulé des milliers de tonnes de déchets radioactifs dans la laine de verre de sa filiale Isover. Si le taux de radioactivité mesuré reste faible, avec 100 à 200 bq/kg, il est deux fois supérieur au niveau naturel.

Au siège grisâtre du groupe Saint-Gobain, on qualifie naturellement l’affaire de « grotesque », en affirmant que « cette opération reste insignifiante au plan de la radioactivité ». Mais tellement révélatrice au plan de la morale. « Ce recyclage n’entraîne aucun risque, tout est calculé », déclare benoîtement le bouffon chargé de l’environnement au sein de l’entreprise. Nous voilà rassurés.

La CRII-RAD (Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité), organisme indépendant basé à Toulouse, avait déjà signalé ces usages au ministère de la Santé en janvier 1997, rapporte France Soir. Ledit ministère avait alors, selon mes informations, envoyé Christian Pierret renifler quelques sacs de laine de verre, mais celui-ci n’avait rien remarqué d’anormal. Ils sentaient bien la laine de verre. L’affaire avait donc été classée.

Ces pratiques « contredisent tous les efforts en matière de radioprotection pour diminuer les sources d’irradiation », s’insurge aujourd’hui la directrice de la CRII-RAD (pourquoi ne l’a-t-elle pas fait dès janvier 1997 ?). « C’est une brèche où vont s’engouffrer de nombreux autres industriels qui rêvent de faire la même chose en toute liberté », déclare-t-elle, soudain apeurée. Hélas, j’ai bien peur qu’ils ne l’aient pas attendue pour commencer.

Le groupe Saint-Gobain détient la moitié du marché de la laine de verre en France. Enfin, pour être tout-à-fait exact, c’est ce qu’il détenait ; ce soir, les actionnaires sont inquiets.

PIERRE LAZULY
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