Les Chroniques du Menteur
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Faux et usage de faux

lundi 10 février 2003, par Pierre Lazuly

Tony Blair était bien embêté : ses services secrets ne parvenaient pas à prouver que Saddam Hussein n’avait pas désarmé. Il fallait bien pourtant trouver des raisons présentables de l’attaquer avant le printemps. Alors, puisque décidément ni les services d’espionnage ni les inspecteurs de l’ONU n’étaient fichus de dégoter la moindre « preuve patente », on irait chercher sur le Web quelque chose qui pourrait y ressembler. Manque de chance, Tony Blair s’est fait pincer. Ses services, un tantinet piteux, ont dû admettre vendredi que le fameux « secret spy dossier » - censé émaner des services d’espionnage [1] - contenait en réalité des passages entiers puisés dans des articles universitaires, et ce jusqu’aux fautes de grammaire.

Cet « excellent dossier présenté par le Royaume-Uni qui décrit en détail les activités de dissimulation irakiennes » - c’est ainsi que Colin Powell l’avait présenté devant le Conseil de sécurité - était en réalité constitué de « copier-coller » de travaux qui n’avaient rien de secret. Glen Rangwala, professeur à l’université de Cambridge, a ainsi établi que 11 des 19 pages du rapport de Downing Street ont été entièrement puisées dans des articles universitaires [2].

Pour vous dire à quel point Tony Blair a utilisé des services secrets : les auteurs eux-mêmes ignoraient qu’ils faisaient partie de l’espionnage anglais. Ibrahim Al-Marashi a été le premier surpris : l’espion le plus prolixe, c’était lui. 4 des 19 pages du rapport reproduisaient mot pour mot des extraits de sa thèse de troisième cycle. « On a même recopié mes erreurs de grammaire et mes fautes d’orthographe ! », a-t-il confié au San Francisco Chronicle [3]. « La seule chose que demande un universitaire, lorsque vous publiez quelque chose de lui, c’est que vous mentionniez ses travaux », a-t-il précisé à la BBC. « Il y a une législation sur le plagiat, on serait en droit d’attendre que le gouvernement anglais la respecte ». Il faut dire que citer un obscur thésard de Monterey, ça ne faisait plus très services secrets.

Pourtant, les travaux d’Ibrahim Al-Marashi ne risquaient pas de révéler le moindre élément sur l’armement actuel du régime de Saddam Hussein. Et pour cause : « il se fonde sur des informations vieilles de douze ans, contenues dans des dossiers abandonnés par les Irakiens en 1991 après leur fuite du Koweït et dans des documents saisis par des rebelles kurdes dans le nord du pays. Rien à voir donc avec l’actuelle dissimulation d’armes de destruction massive dénoncée par le "dossier" britannique » [4]. Parmi les autres travaux empruntés, on trouve également deux articles publiés dans Jane’s Intelligence Review, directement téléchargés depuis le site de la revue. Ironie du sort, l’un des deux a été écrit par Sean Boyne, un opposant à la guerre en Irak...

Qu’importe, après tout, puisque les services anglais ne retenaient que les passages qui leur convenaient. Quitte à les modifier. Car si certaines fautes d’orthographe d’Al-Marashi ont bien été recopiées, certains paragraphes ont été subtilement retravaillés : « les mots employés par Ibrahim Al-Marashi ont parfois été remplacés par d’autres, d’une signification plus forte : la « surveillance » [monitoring] des ambassades étrangères est devenue « espionnage » [spying], alors que les « groupes d’opposants » [opposition groups] devenaient des « organisations terroristes » [terrorist organisations]. Le travail de copier-coller fut effectué avec une telle incompétence qu’en combinant les travaux d’Al-Marashi avec ceux de Boyne, le rapport a confondu deux différentes organisations » [5].

« Depuis des mois », rappelle The Observer, « les officiers du renseignement britannique - tout comme leurs homologues américains - n’ont cessé de rappeler qu’ils n’avaient pas trouvé trace de liens entre Saddam Hussein et Al-Qaida, tandis que les responsables politiques persistaient à prétendre l’inverse ». Tony Blair, qui est un homme pragmatique, avait bien cru trouver malgré tout la solution pour berner l’opinion. Si vous remplacez « groupe d’opposants » par « organisation terroriste » dans la thèse d’un étudiant, vous obtenez effectivement : « supporting terrorist organisations in hostile regimes ». D’ici à en déduire que Saddam Hussein pourrait être « proche d’Al-Qaida », il n’y a qu’un pas.

PIERRE LAZULY

Notes

[1] Dossier « Iraq - its infrastructure of concealment, deception and intimidation », publié sur le site gouvernemental « 10 Downing Street Facts » le 3 février 2003.

[2] Reuters, « UK’s Blair under fire for plagiarized Iraq dossier », 7 février 2003.

[3] San Francisco Chronicle, « Brits admit plagiarizing Iraq report », 8 février 2003.

[4] Le Monde, « Ce plagiat britannique qui conforte les opposants à la guerre en Irak », 9 février 2003.

[5] The Observer, « First casualties in the propaganda firefight », 9 février 2003.

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