La classe politique se félicite bruyamment de la signature du plan de paix dans les Balkans. Un dénouement qui, nous dit-on, « confirme le bien-fondé de notre intervention non seulement diplomatique, mais également militaire » (un responsable socialiste entendu sur France Inter). « Les faits sont en train de nous donner raison », déclare le Premier ministre sur le bord du perron. Rien n’est plus agréable que de voir les faits vous donner raison à une semaine des élections.
Tels sont les aléas du calendrier. Les troublants hasards de la guerre. Les ambassades chinoises qu’on touche par mégarde lorsque les Nations Unies s’apprêtent précisément à trouver un accord ; les jugements éclair d’un tribunal pénal international sabotant par un hasard malheureux des initiatives diplomatiques russes. De quoi aurait eu l’air l’OTAN si l’accord de paix avait été négocié par un émissaire russe ou par Kofi Annan ? Pour sortir vainqueur de la guerre (ou tout au moins pour le paraître), l’OTAN devait impérativement décider elle-même du jour où elle la ferait taire. Et diriger le feu médiatique vers la scène où se trouveraient ses propres émissaires.
« Désormais sur notre continent, chacun aura compris que ne seront plus tolérées des politiques racistes, des pratiques de purification ethnique qui faisaient honte à notre conscience et à notre mémoire », déclarait hier soir Jacques Chirac depuis Cologne. Chacun aura en tout cas compris que c’est précisément l’état de guerre qui, généralement, rend possible la purification ethnique. Que la présence des observateurs de l’OSCE, avant le début des frappes, avait au moins limité cette purification. L’oppression des kosovars par Milosevic, à ce moment-là, était sensiblement du même ordre que l’oppression de la minorité kurde par la Turquie. Que l’on ne bombarde pas. Bien au contraire : la France vient de vendre de nouveaux hélicoptères d’attaque à la police turque afin qu’elle puisse pourchasser gaiement les kurdes dans les montagnes. Désormais sur notre continent, chacun aura compris que ne seront plus tolérées des politiques racistes. Sauf bien sûr par les meilleurs importateurs de matériel d’armement. Au premier rang desquels se trouve précisément la Turquie. (Il faut savoir être pragmatique).
« Grâce à la solidarité de la nation tout entière, la France a été à la pointe de ce combat. C’était son devoir. C’est son honneur », a poursuivi le chef de l’Etat. Il y a effectivement de quoi se féliciter : après 71 jours de bombardements intensifs, de destructions latérales et de dommages collatéraux, les 17 pays de l’Alliance sont parvenus à faire accepter à Slobodan Milosevic le même texte, quasiment, que celui qu’il était déjà prêt à signer à Rambouillet si seulement les Alliés avaient accepté de renégocier la composition de la force d’interposition devant être déployée au Kosovo (lire « Histoire secrète des négociations de Rambouillet »), et si les Américains avaient renoncé à la fameuse "Annexe B" prévoyant un déploiement des forces de l’OTAN sur l’ensemble du territoire yougoslave, et non seulement au Kosovo (comme nous l’apprenait un article de Il Manifesto, « Mettriez-vous votre nom en bas de cet accord », repris il y a quelques semaines par Politis).
« Comme il n’y avait pas d’autre alternative, nous avons eu raison de nous engager », assure pourtant Lionel Jospin. On aimerait bien le croire. Mais on sait très bien que l’OTAN n’aura en rien amélioré le sort des Kosovars. Les missiliers sont satisfaits : leurs privatisations et fusions se passent à merveille (pour aller jusqu’au bout de nos rêves) ; surtout, leurs clients ont brillamment justifié leurs budgets militaires, généreusement engagés « dans le combat pour nos valeurs et pour la démocratie contre la barbarie ».
Il faut désormais reconstruire un pays entier. On va pouvoir exporter. On a su générer de nouveaux marchés.
En attendant, le prix de la vie humaine a baissé de façon effrayante.