« Radio France Publicité, l’espace préservé » : le slogan de la régie publicitaire de Radio France est particulièrement inspiré [1]. La « Maison Ronde », longtemps dispensée de publicité sur ses ondes, constitue en effet dans le paysage médiatique un cas bien particulier : contrairement à la télévision publique, dont les « tunnels » de réclame n’ont rien à envier aux chaînes privées, Radio France est tenue par son cahier des charges à une publicité discrète et soigneusement encadrée.
Ses recettes « de publicité et de parrainage » ne représentent de fait, pour l’année 2001, qu’un peu plus de 5% de son chiffre d’affaires [2]. Une situation bien injuste si l’on en croit les vibrants argumentaires destinés à vendre leur « coeur de cible » aux publicitaires, qu’il s’agisse des auditeurs de France Info (« France Info est LA radio d’information continue la plus prisée, jour après jour, des acteurs économiques et de la population active en général. France Info, c’est la radio qui mixe le mieux aujourd’hui densité, immédiateté, puissance et crédibilité ») ou de ceux de France Inter (« les décideurs sont fidèles à France Inter. [...] France Inter et les cadres, c’est 7 jours sur 7 »).
Et pourtant, malgré le réel sens du marketing dont sait faire preuve sa régie, Radio France est toujours handicapée par son cahier des charges : tous les annonceurs ne peuvent pas bénéficier de cet auditorat de choix. Seuls les acteurs « institutionnels » sont autorisés à occuper les espaces de « publicité classique » de la radio publique : « Vous êtes une entreprise publique, une entreprise parapublique, une collectivité territoriale, une chambre de commerce et d’industrie, une chambre de métiers, [...], une coopérative, une mutuelle, une foire ou un salon, une cause d’intérêt général, vous pouvez nous confier vos campagnes publicitaires pour votre communication institutionnelle ou pour vos produits ou services non concurrentiels. ».
Le secteur privé n’est cependant pas totalement interdit d’antenne : le « parrainage », qui permet d’associer le nom et le secteur d’activité d’un annonceur à une émission ou une chronique, est quant à lui ouvert à tous. Toute entreprise peut ainsi s’offrir, pour 52.000 euros par mois, le doux plaisir d’être citée quotidiennement sur France Inter en introduction du sermon matinal de Jean-Marc Sylvestre.
L’art de vendre en n’ayant rien à vendre
Ces règles d’un autre âge, prévues par le législateur lors de l’apparition de la publicité sur Radio France afin d’en limiter les dérives, donnent aujourd’hui une coloration singulière aux messages publicitaires, particulièrement sur France Inter. Les espaces dévolus au « parrainage » y étant en effet d’un nombre assez limité, c’est avant tout la « communication institutionnelle » que l’on peut percevoir à l’antenne. (Un phénomène d’ailleurs amplifié par le fait que les campagnes bénéficiant de l’agrément du SIG (Service d’information du Gouvernement), ainsi que les campagnes « d’intérêt général », bénéficient d’un abattement de 40% [3].)
De fait, même si l’on doit fréquemment supporter des réclames « bassement commerciales » n’ayant rien à envier à celles du secteur privé (des publicités infantilisantes de La Française des Jeux à celles des poulets fermiers et autres « truite charte qualité » dont la qualification « non concurrentielle » du produit vanté est pour le moins douteuse), Radio France et son « espace préservé » semblent être devenus au fil des années le support de communication privilégié de plusieurs entreprises publiques et parapubliques et, plus récemment, de quelques collectivités territoriales. Un engouement d’autant plus étonnant que nombre d’entre elles n’ont a priori rien à vendre.
Rien à vendre, mais un indéniable besoin de « se vendre » : il n’est d’ailleurs pas indifférent de noter que les premières entreprises publiques à communiquer sur les ondes de la Maison Ronde ont toujours été celles qui s’attendaient à être privatisées au cours des prochaines années. France Telecom, Eurotunnel, pour ne citer qu’elles : l’auditeur de France Inter était devenu familier de ces entreprises avant même qu’elles aient publiquement annoncé leur intention de s’introduire sur les marchés financiers.
Dès lors qu’on en a pris conscience, l’écoute de France Inter devient un vrai calvaire : l’apparition d’un nouvel annonceur sonne comme un aveu. L’auditeur soucieux du service public finit par s’arracher les cheveux. Il refait tristement l’inventaire de ces annonceurs si présents depuis quelques temps : La Poste, EDF, GDF, la SNCF... Certes, leur possible privatisation n’est pas à proprement parler une révélation, mais cette entreprise de communication procède d’un travail « en amont » : c’est plusieurs années avant « l’ouverture de capital » qu’il convient d’entamer l’opération de séduction, destinée à donner à l’entreprise une image de « privatisable » aux yeux des cadres et décideurs (ces décideurs si « fidèles à France Inter... »).
Seuls les aléas météorologiques parviennent parfois à éclipser cette image idyllique que cherchent à donner d’elles les entreprises publiques, comme cette semaine inespérée, quasiment sans publicité, que nous avait offert France Inter en octobre dernier : EDF, qui « nous devait plus que la lumière », et Eurostar, qui nous promettait « Paris-Londres d’un seul trait » avaient précipitamment interrompu leur campagne alors que tous les Eurostar étaient bloqués en rase campagne et que plusieurs départements souffraient depuis plusieurs jours de coupures de courant.
« L’effet Francis Mer »
Sans doute faut-il y voir un « effet Francis Mer » : depuis cet été, le phénomène ne fait que s’accentuer ; le ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie n’a-t-il pas déclaré : « Sur cinq ans, nous mettrons sur le marché, à deux exceptions près, SNCF et RATP, l’essentiel des entreprises qui aujourd’hui font partie du portefeuille public » [4] ? Toutes les entreprises publiques se sentent désormais concernées ; même l’Aéroport de Nice-Côte d’Azur a fini par atterrir dans les espaces publicitaires de Radio France. Et c’est avec une réelle frayeur que l’on vit apparaître, en décembre, une nouvelle campagne chargée de promouvoir... la retraite par répartition ! « La retraite de la sécurité sociale, efficace pour tous depuis longtemps, et pour longtemps... ». Un message, qui contrairement à ce qu’il voulait bien dire, laissait au contraire penser que ses jours étaient comptés...
D’autres acteurs institutionnels préfèrent choisir le « parrainage » pour redynamiser leur image. Ainsi Météo-France, qui fournit pourtant à France Inter 84 bulletins de prévision météo par semaine et dispose d’autant de citations à l’antenne, a cru nécessaire de souscrire auprès d’eux, au mois de décembre, un contrat de parrainage. Pour faire précéder ses bulletins de la mention : « La météo, avec Météo-France, service public des prévisions météorologiques » ? Evidemment non. C’est la chronique boursière de Jean-Pierre Gaillard que Météo-France avait choisi de parrainer, en dévoilant à cette occasion sa nouvelle identité, autrement plus moderne : « Météo-France, prestataire de solutions professionnelles pour les entreprises et les particuliers ». Ce qui, allié au charme très particulier de Jean-Pierre Gaillard, constitue tout de même une bien meilleure carte de visite pour qui voudrait se voir privatiser.
Le « parrainage » de l’icône de l’actualité boursière, de fait, semble être devenu ces derniers temps un espace fort convoité ; une « tendance haussière » de son cours (actuellement un modeste forfait de 42.000 euros par mois) sera vraisemblablement observée sur les marchés. Car ce ne sont plus seulement les entreprises publiques ou privées qui se l’arrachent : décentralisation oblige, on y trouve désormais les collectivités territoriales. Certes, Francis Mer n’a pas encore annoncé son intention de privatiser l’essentiel des régions qui aujourd’hui font partie du portefeuille public, mais tout donne à penser que la future loi de décentralisation, en conférant davantage de « liberté » aux régions, tournera rapidement à leur mise en concurrence. Dès lors, il ne faut guère s’étonner qu’elles s’emploient déjà à persuader les investisseurs potentiels de leur exceptionnelle attractivité.
Jalouse, sans doute, de la campagne publicitaire du département du Val d’Oise, qui nous présentait des entrepreneurs japonais ravis de s’y être établis, l’une de ses concurrentes - la région Basse-Normandie - devait ainsi rapidement répliquer sur ce thème et vanter pêle-mêle ses camemberts et son industrie. En janvier, elle écrasait finalement sa rivale en décrochant le titre convoité de « parraine » de Jean-Pierre Gaillard et de ses commentaires goguenards en direct de son palais Brogniart. Quand on sait que la Basse-Normandie a été la région la plus gravement touchée par les « licenciements boursiers » chez Moulinex, Philips ou Valéo, on imagine sans difficulté la revanche que ça doit représenter pour les habitants d’Alençon, Cormelles-le-Royal, Falaise ou Bayeux.