Quelques heures après la parution de mon « Arrêt sur pillages », je recevais un courrier de Daniel Schneidermann. L’« éditorialiste célèbre », s’étant évidemment reconnu, me demandait de publier le droit de réponse suivant :
« Mille pardons : je ne savais pas que Clust était votre domaine réservé. Je ne savais pas que votre trottinette était un scoop, et que personne n’avait le droit de pénétrer après vous chez les clustiens. Je ne savais pas que la dénonciation ironique des sites d’achat groupé devait, jusqu’à la fin des temps, rester un monopole, réservé aux lecteurs des "chroniques du menteur". Je ne savais pas que les lecteurs du Monde n’avaient pas le droit d’en être aussi informés.
J’aimerais que vos lecteurs sachent que, alerté par votre texte, c’est exact, sur le phénomène Clust, j’ai ensuite effectué pendant plusieurs semaines ma propre enquête, à base de visites régulières dans la malheureuse tribu des acheteurs sans succès de scooters. Je suis au regret de vous en informer : elle confirme la vôtre. Je regrette de n’avoir pas pu vous citer : mais Le Monde n’a publié que des versions abrégées de tous mes textes. Les versions intégrales paraitront en effet (quelle prescience !) à la rentrée, sous un titre qui n’est pas celui que vous suggérez, et sur lequel vous me permettrez de maintenir le suspense. Dans la version intégrale, il est rendu justice au rôle défricheur du "Portail des copains".
Enfin, sur le compte-rendu de notre agréable rencontre parisienne, je regrette que vous vous dévalorisiez. Votre texte sur Clust, contrairement à ce que vous pensez, est bien la remise en cause la plus radicale de la nouvelle économie que j’aie lu [sic] jusqu’à présent, bien plus radicale que les autres textes que vous citez, ce qui ne m’a pas empêché d’inviter à Arrêt sur images votre camarade Arno. M’accordez-vous le droit d’avoir cette opinion ? Si "vous n’avez pas eu de nouvelles", comme vous dites, c’est parce que vous m’avez expliqué que, pour des raisons personnelles, il vous était impossible de participer à une émission de télévision, ce que j’ai vivement regretté. Et regrette encore.
Je vous serais reconnaissant de bien vouloir porter cette mise au point à la connaissance des lecteurs des "chroniques du menteur", qui ont droit à toute la vérité. Bien à vous, Daniel Schneidermann. »
Certes certes, mes chers lecteurs y ont droit, à toute la vérité. Et sont en cela bien plus chanceux que les lecteurs du Monde qui, après avoir acheté douze fois le journal, doivent encore acheter la version intégrale chez Fayard pour avoir la chance de connaître le « rôle défricheur du Portail des copains ». Remarquez, si vous venez de ma part, on vous fera peut-être une petite remise sur le livre, allez savoir. Ce serait la moindre des choses. Et même, qui sait, si on est assez nombreux, on pourra peut-être essayer de se regrouper chez Clust pour l’acheter au meilleur prix ? Just kidding.
En attendant, c’est vrai : je n’ai absolument pas le monopole de la dénonciation ironique des sites d’achat groupé. Tenez, c’est comme Yves Eudes. En publiant le 28 avril dernier, dans Le Monde, un reportage intitulé « L’étrange maison bleue d’Oberlin », il ne prétendait sûrement pas s’arroger le monopole de Lisa, la charmante « webcamée » qu’il avait côtoyée durant 4 jours dans sa maison de l’Ohio. Daniel Schneidermann avait parfaitement le droit de nous reparler de cette chère Lisa quatre mois plus tard dans son sixième opus (« Le jour où j’ai été subjugué par une belle webcamée »). « Alerté par le texte » d’Yves Eudes, il avait fait sa propre enquête. La preuve, c’est qu’en plus de Lisa, il y a une Jenni tout à fait inédite.
Dans ces deux cas, il n’y a effectivement pas lieu de parler de « plagiat », mais tout au plus, comme me l’écrit un lecteur, « d’un espèce de genre hybride, entre l’inspiration non sourcée et la reprise discrète, quelque chose de pas aussi filou que le pompage éhonté, pas aussi net, mais néanmoins crapuleux. »
« Je regrette de n’avoir pas pu vous citer : mais Le Monde n’a publié que des versions abrégées de tous mes textes », se lamente Daniel Schneidermann. Et l’on se dit que ce doit être bien humiliant, pour un éditorialiste célèbre, de voir ses enquêtes amputées de leurs sources sans pouvoir les relire avant publication et sans pouvoir protester contre cet état de fait.
Alors, comme Pierre Marcelle, « plutôt que de s’offusquer dans de grandes phrases pleines de grands mots, on préfèrera s’autoriser à sourire ».