Je me permets, à titre exceptionnel, de reproduire ici une chronique proférée par Philippe Meyer sur les ondes de France Inter en avril 93, chronique consacrée à la téléphonie mobile. La redécouvrir en ce début d’année 98 présente, vous le verrez, un intérêt tout particulier. J’y ai ajouté quelques réflexions et conseils pour lutter contre les parasites - je veux parler des abonnés eux-mêmes.
Heureux habitants du Val-d’Oise et des autres départements français,
le peintre Degas, qui passait pour avoir du caractère, c’est-à-dire
du mauvais, commenta ainsi l’invention du téléphone : « Ah ! On vous
sonne et vous y allez. » On peut voir par là que Degas pensait qu’on
pouvait s’interroger sur le progrès. Maintenant qu’il n’est plus là,
qui s’interrogera à sa place ? Tâchons de nous y coller.
Nous avons lu dans les journaux et vu à la télévision que, depuis quelques jours, les Parisiens, à l’instar des Strasbourgeois, peuvent téléphoner dans la rue, chez leur crémier ou dans une sanisette grâce à un appareil qui ne pèse pas un quart de livre. Arrêtons-nous un instant sur cette idée. Un homme marche dans la rue et téléphone tout en déambulant. Demandons- nous de quoi il a l’air. Ne le lui disons pas, cela pourrait l’affecter.
Considérons maintenant l’appareil portable qui permet à l’homme d’appeler
pendant qu’il déambule (ou qu’il achète un demi-reblochon, douze oeufs
coque et un petit pot de crème fraîche). Cet appareil ne fonctionne qu’en
milieu urbain. Quelle est la caractéristique du milieu urbain, à part les
déjections canines et l’ignorance dans laquelle chacun se trouve de son
voisin, ignorance qui est souvent une bénédiction ? La caractéristique
du milieu urbain, c’est, depuis quelques années, l’abondance des cabines
téléphoniques publiques à carte et qui marchent. Elles ont sur le téléphone
que l’on utilise en déambulant l’avantage d’offrir :
1) un abri contre les intempéries ;
2) une protection contre les indiscrétions.
Examinons maintenant l’autre situation du téléphoneur qui est non de donner mais de recevoir un appel téléphonique. Chez lui, il peut ; à son bureau, il peut ; dans une cabine, il peut ; avec le truc portatif déambulatoire, il ne peut pas. Ça, c’est un soulagement : vous vous imaginez au restaurant, au cinéma, chez votre crémier ou dans la rue, environné d’écervelés qui, pour jouer les importants, se font appeler à tout instant pour qu’on leur confirme que le lundi c’est raviolis ou que le journal de 20 heures sera bien diffusé à 20 heures ? Vous vous imaginez ?
Eh bien, vous avez raison. Car si, aujourd’hui, le Bi-bop ne peut pas être appelé, dès l’automne et moyennant un surcoût, il le pourra. Et, d’ici l’an 2000, d’ici moins de huit ans, il est prévu un million d’abonnés. Un million de porteurs d’appareils susceptibles de striduler à n’importe quel moment, n’importe où et pour n’importe quoi. Aie, aie, aie, chroniqueur matutinal, voudrais-tu suggérer par ces prévisions à tendance apocalyptique que la mise sur le marché de cet engin appelé Bi-bop ne serait pas un progrès ? Que si, auditeurs dubitatifs, que si, c’est un progrès. Jusqu’à aujourd’hui, pour se comporter en mufle, il fallait se donner un certain mal. Désormais, chacun peut faire faire le travail par une machine qui ne pèse que cent quatre-vingts grammes.
Je vous souhaite le bonjour.
Nous vivons une époque moderne.
Philippe Meyer, 14 avril 1993
La lecture de cette chronique nous amène à
cette effrayante conclusion : le progrès serait en avance.
Pensez donc que l’apocalypse annoncée par l’oncle Philippe, il y a à peine cinq ans, était le désolant spectacle d’un million d’écervelés stridulateurs en l’an 2000 (l’année où toutes les voitures aux couleurs pastel voleront en silence, si je me souviens bien des tendres histoires futuristes de mon enfance). Vous n’êtes pas sans avoir remarqué qu’en ce début d’année 98 (où les diesels continuent de ronfler), les six millions d’écervelés stridulateurs sont déjà largement atteints.
J’ai l’honneur de vous informer de l’existence d’une arme efficace contre les écervelés sus-cités, arme que j’ai en ce moment-même en poche et dont la détention et l’usage sont on ne peut plus légaux. Il convient de ne pas l’employer contre les mobilophiles dont l’usage de la téléphonie mobile semble véritablement motivé, mais de l’utiliser par contre sans compter contre les écervelés expliquant en terrasse qu’ils sont en terrasse et déblatérant du haut du Mont-Saint-Michel qu’ils sont en haut du Mont-Saint-Michel. Cette arme peut-être utilisée sans viser l’imbécile, en appuyant simplement sur la gâchette à l’intérieur même de la poche de sa veste. Il entend alors, à chaque pression de la gâchette, un grésillement du plus bel effet, voire un authentique Larsen si on a la chance d’être suffisamment proche de lui.
Et quel est, chroniqueur de chroniques, ce merveilleux appareil capable de générer une telle perturbation magnétique ? Quel est cet astucieux appareil permettant de lutter efficacement contre ces parasites modernes ? Un simple allume-gaz...