Les Chroniques du Menteur
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Un sans-fil à la patte

mercredi 29 juillet 1998, par Pierre Lazuly

Vous n’êtes pas sans avoir noté la regrettable habitude qu’ont les imbéciles d’utiliser leur téléphone mobile dans les endroits où leur modernité a le plus de chance d’être remarquée par une personne du sexe opposé. J’ai même observé, dans une petite ville de province, que la majorité d’entre eux téléphonaient autour du grand rond-point, principale pollution sonore de la ville. Tels sont les effets du progrès. Ainsi vivent les imbéciles.

Quant aux deux cabines cachées sous le chêne tranquille, elles attendent sagement qu’on les en déracine. J’y appelais autrefois de tendres lycéennes : nous vivions alors une époque archaïque, c’est sûr, mais c’était tout de même bien pratique.

Après tout, si ça les amuse, de téléphoner dans ce brouhaha ? Ca leur permet de dire : "je ne t’entends pas, je suis ici, je suis là". Il paraît que ça impressionne les demoiselles. C’est un représentant SFR qui m’a dit ça.

Malheureusement, les imbéciles ne passent pas leur vie à brailler aux rond-points, sinon croyez bien que je militerais pour qu’on leur en fît plein. Hélas, comme vous et moi, ils traînent dans les bars, dans les cinés et les gares. Et, comme ils sont très importants, ils stridulent allègrement. C’est comme ça, quand on est important. On vous appelle pour vous demander de ramener une baguette, de passer vite fait au Mammouth, chercher s’ils n’ont pas de nouveaux prix bas sur les chemises à pois. Ne rigolez pas, bientôt ça vous arrivera. Et c’est ainsi que vous aimerez l’an 2000.

Les Japonais n’aiment pas l’an 2000. Ils l’ont déjà dépassé. Avec 39 millions de téléphones mobiles, la tranquillité n’est plus qu’un souvenir d’une époque trop lointaine, et l’agacement est tel que ceux qui n’ont pas de sans-fil à la patte cherchent à se munir d’une arme de défense adéquate.

"Bon sang, mais c’est bien sûr, c’est un marché prometteur !", et voici déjà le cortage d’entrepreneurs, proposant aux âmes archaïques un remède à leurs malheurs, sous forme d’un perturbateur magnétique repoussant à trois mètres les communicants importuns. La popularité de ces appareils est telle que le gouvernement japonais vient d’en réglementer sévèrement l’utilisation, craignant qu’ils ne soient utilisés pour bloquer les "usages légitimes" du téléphone. Les perturbateurs ne seront tolérés que dans les théâtres et salles de concert, où (je cite) "le degré de nuisance est significatif".

Certaines compagnies de transport ont d’ailleurs déjà commencé à demander à leurs passagers de ne pas téléphoner depuis leur fauteuil et de bien vouloir utiliser pour cela l’espace situé entre les wagons.

C’est ce qui s’appelle un progrès. Et vous verrez qu’un jour ils réinventeront la cabine.

PIERRE LAZULY
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