C’est une véritable victoire de la morale et des bons sentiments : le tribunal de commerce de Paris a ordonné à France Télécom, le 16 juillet dernier, l’arrêt immédiat de la diffusion d’un spot publicitaire télévisé. Le fameux spot télévisé dans lequel on voyait une jeune fille stupide cracher son chewing-gum avec dédain dans le bout de papier sur lequel était inscrit le numéro de téléphone de son copain, celui-ci ayant eu la bêtise de choisir un concurrent d’Itinéris.
Le tribunal, saisi en référé par l’Association des jeunes activistes romantiques (AJAR), a en effet estimé que cette campagne revêtait un « caractère outrageusement débile et dépassait de loin le seuil maximal de bêtise autorisé par la Communauté Européenne [pourtant l’un des plus élevés au monde, ndlr] », et qu’elle constituait de ce fait un « trouble illicite ».
Enfin, pour être tout à fait exact, ça ne s’est pas vraiment passé comme ça. Le seuil maximal de bêtise étant en Europe pratiquement illimité - Lagaf est là pour le prouver - et la débilité presque recommandée, nul doute que l’AJAR, avec de tels arguments, se serait très probablement fait débouter.
Si le tribunal a effectivement estimé que ce spot constituait un « trouble illicite », ce n’est pas parce que celui-ci était stupide : il a, plus pitoyablement, accédé à la demande d’un concurrent aigri qui, je cite, « contestait la séquence dans laquelle on voit une jeune fille cracher son chewing-gum ». Le directeur général de Cegetel en personne avait même été jusqu’à pleurnicher à la barre, pour impressionner les jurés : « France Télécom empêche une baisse de tarif chez SFR et en profite en plus pour faire de la publicité comparative qui dénigre nos clients ». À l’issue de cette séance ubuesque, le tribunal lui aura donc donné raison. On ne dénigre pas impunément un client.
Mais c’est impunément, par contre, qu’on peut s’en prendre à ses enfants. D’ailleurs, l’été, les types du marketing sont toujours pleins de bonnes idées. Mon fournisseur d’accès m’ayant gentiment averti qu’en juillet-août, Wanadoo serait partenaire de plus d’une centaine de Clubs Mickey et que ses équipes y animeraient des concours de plages dotés de nombreux cadeaux, je suis allé m’en assurer.
Et j’en suis revenu bien déprimé. Les Clubs Mickey ne sont plus ce qu’ils étaient. Oh, bien sûr, ça n’a jamais été la panacée. C’est bien peu de chose comparé au bonheur d’errer librement entre mômes sur les Iles Chausey. N’empêche, c’était des vrais jeux pour les gosses, des bons vieux trampolines, de la gym. Avec pour toute invasion publicitaire de petits drapeaux jaunes vantant les mérites de quelque radio pour quadragénaires.
J’ai l’honneur de vous informer que les Clubs Mickey ont su s’adapter aux exigences de la modernité. Aux impératifs du marché. Exit les activités ludiques ; elles ne sont plus que support pour la mercatique. Rien n’est plus effrayant que le « planning de la semaine », affiché à l’entrée. « Aujourd’hui, journée Wanadoo », lisait-on, « et demain, journée France Telecom Mobiles ». (Ce que confirmait la présence, bien en évidence autour des trampolines, de multiples banderoles vantant les mérites du dernier kit de téléphonie mobile pour les enfants à partir de 7 ans).
Le samedi, c’est carrément la folie : c’est la journée « Journal de Mickey, RTL, Disney Channel et Télé 7 Jours ». Que je sois transformé en Jean-Marc Sylvestre si je mens. Ça devient presque impossible de se promener entre les trampolines sans se prendre les pieds dans une dizaine de banderoles. Les autres jours, c’est du classique : les glaces Kim, Gervais, Nesquik.
Parfois, en tendant bien l’oreille, on jurerait entendre une chanson. Celle du commercial apprenant aux enfants le fameux refrain d’Yves Duteil, « D’mande un mobile à maman ». Cette fois, c’est une certitude : on n’élève plus des enfants, on forme de nouveaux clients.